Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/646

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nuellement et les gâtaient pour plaire aux parents ? comment moi, avec mes habits communs, mon visage qu’ils voyaient tous les jours, et d’honnêtes paroles, aurais-je pu les éloigner des visiteurs ? J’usais toute mon énergie à cela : en m’efforçant de les amuser, je cherchais à les attirer auprès de moi ; au moyen du peu d’autorité que je possédais et par la sévérité que j’osais employer, j’essayais de les empêcher de tourmenter les étrangers, et, en leur reprochant leur conduite grossière, je voulais les en faire rougir et les empêcher de recommencer. Mais ils ne connaissaient pas la honte ; ils se moquaient de l’autorité qui ne pouvait s’appuyer sur la correction. Pour ce qui est de la bonté et de l’affection, ou ils n’avaient pas de cœur, ou, s’ils en avaient un, il était si fortement gardé, et si bien caché, qu’avec tous mes efforts je n’avais pas encore trouvé le moyen d’aller jusqu’à lui.

Bientôt mes épreuves de ce côté arrivèrent à fin, plus tôt que je ne l’espérais ou ne le désirais. Un soir d’une belle journée de la fin de mai, comme je me réjouissais de voir approcher les vacances et me congratulais d’avoir fait faire quelques progrès à mes élèves, car j’étais parvenue à leur faire pénétrer quelque chose dans la tête, et à leur faire accomplir leurs devoirs pendant le temps donné à l’étude, un soir, dis-je, mistress Bloomfield me fit demander et m’annonça qu’après les vacances elle n’aurait plus besoin de mes services. Elle m’assura qu’elle n’avait qu’à se louer de mon caractère et de ma conduite, mais que les enfants avaient fait si peu de progrès depuis mon arrivée, que M. Bloomfield et elle croyaient de leur devoir de chercher quelque autre mode d’instruction ; que, supérieurs à beaucoup d’enfants de leur âge comme intelligence, ils laissaient fort à désirer sous le rapport de l’instruction ; que leurs manières étaient grossières, leur caractère turbulent : ce qu’elle attribuait à un manque de fermeté, de persévérance et de soins diligents de ma part.

Une fermeté inébranlable, une persévérance infatigable et des soins de tous les instants étaient précisément les qualités dont je m’enorgueillissais secrètement, et par lesquelles j’avais espéré, avec le temps, surmonter toutes les difficultés et arriver enfin au succès. Je voulais dire quelque chose pour ma justification : mais je sentis que la voix me manquait, et, plutôt que de manifester aucune émotion et de laisser voir les larmes que je me sentais venir aux yeux, je préférai garder le silence,