Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/656

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ment, mais avec un certain sentiment de curiosité de ce qu’une plus ample connaissance de mes élèves allait me révéler. Je résolus d’abord une chose, parmi beaucoup d’autres de plus grande importance, à savoir, de commencer par les appeler miss et monsieur. Cela me paraissait, il est vrai, une étiquette froide et peu naturelle entre les enfants d’une famille et leur précepteur et compagnon de chaque jour, surtout quand les élèves sont dans la première enfance, comme à Wellwood-House. Mais là même, ma coutume d’appeler les petits Bloomfield par leur nom avait été regardée comme une liberté offensante, ainsi que leurs parents avaient eu le soin de me le faire remarquer en les appelant eux-mêmes monsieur et miss. J’avais été longtemps à comprendre l’avertissement, tant la chose me paraissait absurde ; mais cette fois, j’étais bien déterminée à me montrer plus sage, et à commencer avec autant de formes et de cérémonie que l’on pût le désirer. À la vérité, les enfants étant beaucoup plus âgés, cela serait moins difficile, quoique les petits mots de miss et de monsieur me parussent avoir le surprenant effet de réprimer toute familiarité et d’éteindre tout éclair de cordialité qui pourrait s’élever entre nous.

Je n’infligerai pas à mon lecteur un minutieux détail de tout ce que je fis et découvris ce jour-là et le jour suivant. Nul doute qu’il ne se trouve amplement satisfait d’une légère esquisse des différents membres de la famille et d’un coup d’œil général sur la première et la seconde année que je passai parmi eux.

Je commence par la tête : M. Murray était, d’après tous les récits, un bruyant et remuant squire campagnard, un enragé chasseur de renard, un habile jockey et maréchal ferrant, un fermier actif et pratique, et un cordial bon vivant. Je dis, d’après tous les récits : car, excepté le dimanche, quand il allait à l’église, je ne le voyais guère que de mois en mois ; à moins qu’en traversant la grande salle ou en me promenant dans le domaine, un grand et fort gentleman, aux joues colorées et au nez rouge, ne se trouvât sur mon passage. Dans ces occasions, s’il était assez près pour m’adresser la parole, il m’accordait un petit salut accompagné d’un : « Bonjour, miss Grey. » Souvent, à la vérité, son gros rire m’arrivait de loin, et plus souvent encore je l’entendais jurer et blasphémer contre les laquais, le groom, le cocher, ou quelque autre pauvre domestique.