Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/657

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Mistress Murray était une belle et élégante lady de quarante ans, dont les charmes n’avaient assurément besoin ni de rouge ni de ouate. Son principal plaisir était ou paraissait être de recevoir et de rendre des visites, et de s’habiller à la mode la plus nouvelle. Je ne l’aperçus point le lendemain de mon arrivée avant onze heures du matin, moment où elle m’honora d’une visite, tout comme ma mère se serait rendue à la cuisine pour voir une nouvelle servante, moins l’empressement toutefois : car ma mère serait allée voir la servante à son arrivée, et n’aurait pas attendu au lendemain. Ma mère aurait parlé à sa servante d’une manière bienveillante et amicale, lui aurait adressé quelques paroles d’encouragement, et lui aurait fait une simple exposition de ses devoirs ; mais mistress Murray ne fit ni l’un ni l’autre. Elle entra dans la salle d’étude en revenant de commander son dîner, me dit bonjour, resta quelques minutes debout auprès du feu, dit quelques mots du temps et du rude voyage que je venais de faire, caressa son plus jeune enfant, un garçon de dix ans, qui venait d’essuyer sa bouche et ses mains avec sa robe, après avoir mangé quelques friandises ; me dit quel doux et bon garçon c’était, puis s’en alla avec un sourire sur son visage, pensant sans doute qu’elle avait assez fait pour le présent, et m’avait donné une grande marque de condescendance. Ses enfants avaient aussi la même opinion, et j’étais seule à penser autrement.

Après cela, elle vint me voir une ou deux fois pendant l’absence de mes élèves, pour me tracer mes devoirs. Pour les filles, ce qu’elle paraissait désirer était qu’elles fussent mises à même de produire de l’effet, sans beaucoup de peine et de travail. Il me fallait donc agir en conséquence, m’étudier à les amuser en les instruisant, à les raffiner, à les polir avec le moins possible d’efforts de leur part et aucun exercice d’autorité de la mienne. Quant aux garçons, c’était à beaucoup près la même chose : seulement, au lieu d’arts d’agrément, il me fallait leur fourrer dans la tête la plus grande quantité possible de la grammaire latine et du Delectus de Valpy, la plus grande quantité possible, du moins sans les tourmenter. « John est peut-être un peu bouillant et Charles un peu nerveux et difficile ; mais dans tous les cas, miss Grey, dit-elle, j’espère que vous vous contraindrez et serez douce et patiente toujours, surtout avec ce cher petit Charles : il est si nerveux et si susceptible, et si peu accoutumé à tout ce qui n’est pas le plus tendre traitement ! Vous m’excu-