Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/661

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tantôt parce que je l’interrompais pour des corrections, tantôt parce que je ne rectifiais pas ses erreurs avant qu’elle les eût commises, ou pour tout autre motif aussi déraisonnable. Une fois ou deux je me hasardai à lui faire des remontrances sérieuses à ce sujet ; mais, dans chacune de ces occasions, la mère me parla de façon à me convaincre que, si je voulais conserver ma place, il me fallait laisser miss Mathilde agir à sa guise.

Quand ses leçons étaient finies, pourtant, c’était généralement fait aussi de sa mauvaise humeur. Lorsqu’elle montait son fringant poney, ou courait avec les chiens ou avec ses frères et sa sœur, mais surtout avec son cher John, elle était heureuse comme l’alouette. Sous le rapport physique, Mathilde était parfaite, pleine de vie, de vigueur et d’activité ; sous le rapport moral, elle était d’une ignorance barbare, indocile, indolente, déraisonnable, et faite pour désespérer la personne chargée de cultiver son esprit, de réformer ses manières, et de l’aider à acquérir ces agréments extérieurs que, tout au contraire de sa sœur, elle méprisait autant que le reste. Sa mère la connaissait assez bien, et me dit plus d’une fois comment je devais essayer de former ses goûts, m’efforcer d’éveiller et d’entretenir sa vanité endormie, et, par une flatterie habile et insinuante, captiver son attention, ce que je ne me sentais pas disposée à faire ; comment je devais lui préparer et lui aplanir le sentier de la science, de façon à ce qu’elle pût y marcher sans la moindre fatigue, ce qui était impossible, car on n’apprend rien sans travail et sans peine.

Mathilde était de plus étourdie, entêtée, violente, et incapable de céder à la raison. Une preuve du déplorable état de son intelligence, c’est que, à l’exemple de son père, elle avait appris à jurer comme un soldat. Sa mère se montrait grandement choquée de ce grossier défaut, et s’étonnait qu’elle eût pu le contracter. « Mais vous pourrez l’en corriger promptement, miss Grey, me disait-elle ; ce n’est qu’une habitude, et, si vous voulez la reprendre doucement chaque fois qu’elle jurera, je suis sûre que bientôt elle ne le fera plus. » Non-seulement je la repris doucement, je m’efforçai aussi de lui faire comprendre combien c’était mal et choquant pour les oreilles des gens bien élevés de jurer ainsi ; mais ce fut en vain. Elle me répondait en riant avec insouciance : « Oh ! miss Grey, comme vous vous fâchez ! Que je suis contente ! » Ou bien : « Je ne puis m’en empêcher ;