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Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/67

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se donnait : une jeune fille sans méthode et même ignorante ; et, lorsqu’elle lui vit faire des progrès rapides et étonnants, ce n’est point aux bonnes dispositions et à l’application de l’écolière qu’elle les attribua, mais bien à son excellente méthode d’enseignement ; lorsqu’elle remarqua que Caroline, inhabile dans la routine, possédait une instruction à elle, instruction inconstante mais variée, la découverte ne lui causa aucune surprise, car elle était persuadée que c’était dans sa conversation que, sans s’en apercevoir, la jeune fille avait glané ces trésors. Elle conserva cette pensée même après qu’elle eut été forcée de reconnaître que sa jeune élève en savait beaucoup sur des sujets touchant lesquels elle-même ne savait que peu de chose : l’idée n’était pas logique, mais Hortense avait dans cette idée une foi parfaite.

Mademoiselle, qui se vantait de posséder un esprit positif et d’avoir une préférence marquée pour les études arides, retenait autant qu’elle le pouvait sa jeune cousine dans la même voie. Elle l’appliquait sans relâche à l’étude de la grammaire française, lui assignant comme les exercices les plus utiles qu’elle pût imaginer d’interminables analyses logiques. Ces analyses n’avaient rien de particulièrement attrayant pour Caroline, qui pensait que l’on pouvait fort bien, sans leur secours, apprendre la langue française, et regrettait le temps perdu à réfléchir sur les propositions principales et incidentes ; à distinguer l’incidente déterminative de l’incidente explicative ; à examiner si la proposition était pleine, elliptique ou implicite. Quelquefois elle se perdait dans ce labyrinthe, et alors, pendant qu’Hortense retournait ses tiroirs à l’étage supérieur, occupation dans laquelle elle passait une partie de sa journée, rangeant, dérangeant, réarrangeant et contre-arrangeant, elle portait son livre à Robert qui la tirait d’embarras. M. Moore possédait un cerveau lucide et calme. Il n’avait pas plutôt jeté les yeux sur les difficultés qui embarrassaient Caroline, que ces difficultés disparaissaient comme par enchantement ; en deux minutes il expliquait tout ; en deux mots il lui donnait la clef de l’énigme. « Si Hortense pouvait enseigner ainsi, pensait-elle, combien n’apprendrais-je pas plus vite ! » Le payant par un sourire d’admiration et de reconnaissance, elle quittait la fabrique à regret pour retourner au cottage, et là, en complétant l’exercice ou en résolvant le problème (car Mlle Moore lui enseignait aussi l’arithmétique), elle regrettait que la nature ne lui eût pas donné