Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/68

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l’autre sexe, afin qu’elle pût être le commis de Robert et demeurer avec lui dans le comptoir, au lieu d’être assise avec Hortense dans le parloir.

De temps à autre, mais rarement, elle passait la soirée au cottage de Hollow. Quelquefois, durant ces visites, Moore était dehors, assistant à un marché ; quelquefois il était allé rendre visite à M. Yorke ; souvent il était occupé avec un visiteur dans une autre pièce ; mais quelquefois aussi il était à la maison, sans engagement, et libre de causer avec Caroline. Ces jours-là, les heures de la soirée fuyaient avec la rapidité de l’éclair. Il n’y avait pas en Angleterre de place plus agréable que ce petit parloir lorsqu’il était occupé par les trois cousins. Hortense, lorsqu’elle n’était pas occupée à enseigner, à gronder ou à faire la cuisine, était loin d’être maussade ; elle se relâchait ordinairement vers le soir, et devenait tout à fait aimable avec sa jeune parente.

Si M. Moore, délivré du fardeau des affaires, n’était pas d’une gaieté entraînante, au moins il se montrait enchanté de la vivacité de Caroline, écoutait avec complaisance son babil, et répondait complaisamment à ses questions. Il lui arrivait parfois de s’animer et de se montrer tout à fait aimable et affectueux.

Malheureusement, le lendemain, il était sûr de retomber dans sa froideur habituelle ; et, quelque plaisir qu’il parût éprouver dans ces soirées intimes, il lui arrivait rarement de chercher à les renouveler. Cette circonstance déroutait la tête inexpérimentée de sa jeune cousine. « Si j’avais ainsi à ma disposition un moyen d’être heureuse, pensait-elle, je l’emploierais souvent ; je le tiendrais brillant par l’usage, et ne le laisserais pas inactif pendant des semaines jusqu’à ce qu’il devînt rouillé. »

Cependant, elle avait bien soin de ne point mettre en pratique sa propre théorie. Quoiqu’elle aimât beaucoup ses visites du soir au cottage, elle n’en faisait jamais sans être priée. Souvent même, pressée de venir par Hortense, elle refusait, parce que Robert n’appuyait pas ou n’appuyait que faiblement la requête. Ce matin, pour la première fois, il lui avait, de son propre mouvement, adressé une invitation. Puis il lui avait parlé si affectueusement, qu’elle avait éprouvé à l’entendre un sentiment de bonheur suffisant pour la rendre joyeuse pendant toute la journée.