Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/679

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J’avais généralement plus de satisfaction à y aller seule qu’avec l’une ou l’autre des jeunes ladies : car, par suite de leur éducation défectueuse, elles se comportaient envers leurs inférieurs d’une manière qui m’était fort désagréable à voir. Elles regardaient ces pauvres créatures pendant leurs repas, faisant des remarques inciviles sur leur nourriture et leur façon de manger ; elles riaient de leur ignorance et de leur langage campagnard, au point que quelques-uns osaient à peine parler ; elles traitaient de graves vieillards des deux sexes, de vieux fous et de vieilles bêtes, à leur nez, et cela sans aucune intention de les offenser. Je pouvais voir que ces gens étaient souvent offensés et ennuyés de cette conduite, quoique leur crainte des « grandes ladies » les empêchât de montrer aucun ressentiment ; mais elles ne s’apercevaient de rien. Elles pensaient que ces paysans étant pauvres et ignorants, ils devaient être stupides et abrutis ; qu’aussi longtemps qu’elles, leurs supérieures, voudraient condescendre à leur parler, à leur donner des schellings, des demi-couronnes et des articles d’habillement, elles avaient le droit de s’amuser à leurs dépens ; que le peuple devait les adorer comme des anges de lumière s’abaissant à pourvoir à leurs besoins et à illuminer leur humble demeure.

Je fis de nombreuses et diverses tentatives pour débarrasser mes élèves de ces idées erronées sans alarmer leur orgueil, qui s’offensait vite et se calmait difficilement, mais avec peu de résultats, et je ne sais vraiment laquelle était le plus répréhensible des deux : Mathilde était plus rude et plus emportée ; mais Rosalie, que par son âge et son extérieur distingué on eût pu croire plus raisonnable, était aussi inconsidérée, aussi insouciante, aussi étourdie qu’une enfant de douze ans.

Par un beau soleil de la fin de février, je me promenais un jour dans le parc, jouissant du triple luxe de la solitude, d’un livre et d’un temps agréable : car miss Mathilde était montée à cheval, comme elle le faisait tous les jours ; et mis Murray était sortie en voiture avec sa mère pour faire quelques visites du matin. La pensée me vint alors de laisser là ces plaisirs égoïstes et le parc avec son magnifique ciel bleu, le vent de l’ouest soufflant doucement dans ses branches sans feuillage, la neige que l’on voyait encore dans les bas-fonds, mais qui fondait rapidement sous les chauds rayons du soleil, et les