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Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/69

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La matinée s’écoula comme de coutume. Mademoiselle, toujours affairée, la passa en allées et venues de la cuisine au parloir, tantôt réprimandant Sarah, tantôt examinant les exercices de Caroline et lui faisant répéter ses leçons. Quelque parfaits que fussent ces exercices, jamais il ne lui échappait un mot d’éloge : c’était une de ses maximes, que la louange est incompatible avec la dignité du maître, et que le blâme, à tort ou à raison, est indispensable. Elle croyait une incessante réprimande, sérieuse ou légère, tout à fait nécessaire au maintien de son autorité ; et s’il était impossible de trouver une erreur dans la leçon, c’était le maintien de l’élève, son air, sa toilette, sa mine, qui réclamaient la correction.

Le tumulte habituel eut lieu à propos du dîner, que Sarah jeta plutôt qu’elle n’apporta sur la table, avec un regard qui signifiait clairement : « Je n’ai jamais de ma vie mis dans un plat semblable drogue ! » Nonobstant le mépris de Sarah, le repas était assez savoureux. La soupe était une espèce de purée de pois secs que mademoiselle avait préparée, en se lamentant amèrement de ce que, dans cette contrée désolée d’Angleterre, il était impossible de se procurer des haricots. Puis venait un plat de viande, d’une nature inconnue, assaisonné avec force mie de pain et cuit dans un moule ; mets singulier, mais non désagréable ; des herbages singulièrement hachés composaient le service de légumes, et un pâté de fruits, conservé d’après une recette inventée par Mme Gérard Moore grand’mère, et dont le goût rendait probable la substitution de la mélasse au sucre, complétait le dîner.

Caroline n’avait aucune objection contre cette cuisine belge ; bien plus elle l’aimait pour le changement, et fort heureusement pour elle : car, si elle se fût permis de manifester le moindre dégoût, c’en était fait pour toujours des bonnes grâces de mademoiselle ; un crime positif lui eût été plus facilement pardonné qu’un mouvement de dégoût pour ces comestibles étrangers.

Aussitôt après le diner, Caroline se mit en devoir d’attirer sa cousine dans la chambre du premier étage pour faire sa toilette. Cette manœuvre demandait des ménagements. Donner à entendre à mademoiselle que le jupon, la camisole et les papillotes étaient d’odieux objets, ou même que cet accoutrement n’était pas des plus convenables, c’était le moyen de les lui faire garder toute la journée. Évitant soigneusement les ro-