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Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/707

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en conclure que je ne suis pas une femme convenable pour son fils : comme si ce fils n’était pas le plus grand vaurien de la chrétienté, et si une femme de la plus vulgaire honnêteté n’était pas encore beaucoup trop bonne pour lui !

— Est-ce vrai, miss Murray ? est-ce que votre mère sait cela, et persiste pourtant à vouloir vous le faire épouser ?

— Certainement elle le sait. Elle en sait plus sur lui que moi, je crois ; elle me le cache, de peur de me décourager ; elle ne sait pas combien je fais peu de cas de ces sortes de choses. Car ce n’est pas réellement grand’chose : il se rangera quand il sera marié, comme dit maman, et les débauchés réformés sont les meilleurs maris, chacun le sait. Je voudrais seulement qu’il ne fût pas si laid ; voilà tout ce qui me préoccupe. Mais je n’ai pas le choix dans ce pays-ci, et papa ne veut pas nous permettre d’aller à Londres !

— Mais il me semble que M. Hatfield serait de beaucoup préférable.

— Certainement ; s’il était propriétaire d’Ashby-Park, vous avez raison. Mais il faut que j’aie Ashby-Park, n’importe qui doive le partager avec moi.

— Mais M. Hatfield croit que vous l’aimez. Vous ne pensez donc pas combien il va être désappointé quand il reconnaîtra son erreur ?

— Non vraiment ! ce sera la juste punition de sa présomption, d’avoir osé penser que je pourrais l’aimer. Rien ne pourrait me faire plus de plaisir que de lui ôter le voile qu’il a sur les yeux.

— Le plus tôt sera le mieux, alors.

— Non, j’aime à m’amuser de lui ; du reste, il ne pense pas sérieusement que je l’aime ; je prends bien soin qu’il ne puisse le penser ; vous ne savez pas avec quelle habileté je mène la chose. Il peut avoir la présomption de m’amener à l’aimer, voilà tout ; et c’est de cela que je veux le punir comme il le mérite.

— Eh bien, faites attention de ne pas trop donner raison à sa présomption, voilà tout, » répondis-je.

Mais toutes mes observations furent vaines : elle ne servirent qu’à lui faire prendre plus de soin de me déguiser ses désirs et ses pensées. Elle ne me parlait plus du recteur ; mais je pouvais voir que son esprit, sinon son cœur, était toujours fixé sur lui, et qu’elle désirait obtenir une nouvelle entrevue : car,