Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/706

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Vîtes-vous jamais un homme pareil, miss Grey ? dit-elle en se tournant vers moi. Je suis si contente que vous soyez venue ! je croyais ne jamais pouvoir m’en débarrasser, et j’avais si peur que papa ne vînt à le voir !

— Est-il resté longtemps avec vous ?

— Non, pas longtemps ; mais il est si impertinent ! il est toujours à se promener par ici, prétendant que les devoirs de son ministère l’y appellent, mais en réalité pour me guetter, et venir m’ennuyer toutes les fois qu’il me voit.

— Eh bien, votre mère pense que vous ne devriez jamais sortir du parc ou du jardin sans être accompagnée par quelque personne raisonnable comme moi, pour tenir à distance tous les importuns. Elle a vu M. Hatfield passer en courant devant les portes du parc, et elle m’a envoyée aussitôt en me recommandant de vous chercher et de prendre soin de vous, et également de vous avertir…

— Oh ! maman est si ennuyeuse ! comme si je ne pouvais prendre soin de moi-même ! Elle m’a ennuyée déjà à propos de M. Hatfield, et je lui ai répondu qu’elle pouvait se fier à moi ; je n’oublierai jamais mon rang ni ma position pour un homme, fût-il le plus aimable et le plus charmant de tous. Je voudrais qu’il se jetât demain à mes genoux, en me suppliant de vouloir bien consentir à être sa femme, afin de montrer à ma mère combien elle s’est trompée en croyant que j’aie pu avoir cette pensée. Oh ! cela me met en fureur ! Penser que je pourrais être assez folle pour aimer ! Une telle chose est tout à fait au-dessous de la dignité d’une femme. L’amour, je déteste ce mot ! Appliqué à une personne de notre sexe, je le tiens pour une parfaite insulte. Je pourrais avoir une préférence, mais jamais pour le pauvre M. Hatfield, qui ne jouit pas même de sept cents guinées par an. J’aime à causer avec lui, parce qu’il a de l’esprit et qu’il est amusant ; je voudrais que Thomas Ashby fût seulement moitié aussi bien. D’ailleurs, j’ai besoin de quelqu’un pour me courtiser, et nul autre n’a l’idée de venir ici. Quand nous sortons, maman ne veut pas que je coquette avec un autre que sir Thomas Ashby, s’il est présent ; et, s’il est absent, je suis liée pieds et mains par la crainte que quelqu’un n’aille faire à ma mère quelque histoire exagérée et ne lui mette dans la tête que je suis engagée, ou très-probablement prête à m’engager à un autre ; ou plutôt encore par la crainte que la vieille mère de sir Thomas ne puisse me voir et m’entendre et