Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/717

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passait près de nous, elle se demanda ce que pouvait faire Harry par une si belle journée ; puis elle commença à déblatérer sur le frère aîné de celui-ci, qui avait été assez fou pour se marier et pour aller habiter Londres.

« Pourtant, lui dis-je, je pensais que vous désiriez vivre à Londres vous-même ?

— Oui, parce que la vie est si triste ici ; mais il me l’a rendue plus triste encore en s’en allant, et, s’il ne s’était pas marié, j’aurais pu l’avoir à la place de cet odieux sir Thomas. »

Remarquant alors les empreintes des pieds d’un cheval sur la route, elle aurait voulu savoir, disait-elle, si c’était le cheval d’un gentleman ; et finalement elle conclut que c’était cela, car les empreintes étaient trop petites pour avoir été faites par un gros et lourd cheval de charretier. Elle se demandait ensuite quel pouvait être le cavalier, et si nous le rencontrerions à son retour, car elle était sûre qu’il n’avait passé que le matin même ; puis enfin, quand nous entrâmes dans le village et ne vîmes que quelques-uns de ses pauvres habitants allant deci delà, elle se demanda pourquoi ces stupides gens ne restaient pas dans leurs maisons ; que ce n’était pas pour leurs laides figures, leurs vêtements sales et grossiers, qu’elle était venue à Horton !

Au milieu de tout cela, je le confesse, je me demandais aussi, en secret, si nous ne rencontrerions ou n’apercevrions pas une autre personne ; et, comme nous passions près de sa demeure, j’allai même jusqu’à regarder s’il n’était pas à sa fenêtre. En entrant dans la boutique, miss Murray me pria de demeurer sur la porte pendant qu’elle ferait ses achats, et de lui dire si quelqu’un passait. Mais, hélas ! il n’y avait personne de visible que les villageois, à l’exception pourtant de Jane et Suzanne Green descendant l’unique rue, et revenant apparemment de la promenade.

« Stupides créatures ! murmura miss Murray en sortant, après avoir fait ses achats. Pourquoi n’ont-elles pas leur mannequin de frère avec elles ? Il vaudrait encore mieux que rien. »

Elle les salua pourtant avec un joyeux sourire, et des protestations de plaisir égales aux leurs sur cette heureuse rencontre. Elles se placèrent l’une à sa gauche, l’autre à sa droite, et toutes les trois s’en allèrent babillant et riant, comme font, lorsqu’elles se rencontrent, de jeunes ladies, si elles sont dans