Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/718

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les termes d’une certaine intimité. Mais moi, sentant que j’étais de trop dans leur société, je les laissai à leurs rires, et restai derrière, ainsi que j’avais coutume de faire en semblable occasion. J’avais peu d’envie de marcher à côté de miss Green ou de miss Suzanne, comme une sourde-muette à qui l’on ne parle pas et qui ne peut parler.

Cette fois pourtant je ne fus pas longtemps seule. Je fus frappée d’abord, comme d’une chose fort étrange, que, juste au moment où je pensais à M. Weston, il s’offrît à moi et m’accostât. Mais dans la suite, après réflexion, je pensai qu’il n’y avait rien là d’extraordinaire, si ce n’est le fait qu’il m’eût adressé la parole : car, par une pareille matinée et si près de sa demeure, il était assez naturel qu’on le rencontrât. Quant à penser à lui, ainsi que je l’avais fait presque continuellement depuis notre départ le matin, il n’y avait rien là de remarquable.

« Vous êtes encore seule, miss Grey ? me dit-il.

— Oui.

— Quelle espèces de gens sont ces ladies, les miss Green ?

— Je n’en sais vraiment rien.

— Voilà qui est étrange, vivant si près d’elles et les voyant si souvent.

— Je suppose que ce sont de bonnes et joyeuses filles ; mais j’imagine que vous devez les connaître vous-même mieux que moi, car je n’ai jamais échangé une parole avec l’une ou l’autre d’elles.

— Vraiment ! il ne me semble pas qu’elles soient fort réservées, pourtant.

— Très-probablement elles ne le sont pas autant pour les gens de leur classe ; mais elles se considèrent comme d’une tout autre sphère que la mienne. »

Il ne répondit rien à cela, mais, après une courte pause, il dit :

« Je suppose que ce sont ces choses, miss Grey, qui vous font penser que vous ne pourriez vivre sans une maison ?

— Non, pas précisément. Le fait est que je suis trop sociable pour pouvoir vivre contente sans un ami ; et comme les seuls amis que j’aie, et les seuls que j’aurai probablement jamais, sont à la maison, si je perdais cet ami, ou plutôt ces amis, je ne dis pas que je ne pourrais pas vivre, mais que j’aimerais mieux ne point vivre dans un monde si désolé.

— Mais pourquoi dites-vous les seuls amis que vous aurez