Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/720

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mais, malheureusement, il était sorti pour aller rendre encore une visite au pauvre Marc Wood, et il avait à suivre le même chemin que nous. Quand pourtant il vit que Rosalie avait pris congé de ses amies et que j’étais près de la rejoindre, il me quitta et se mit à marcher d’un pas plus pressé ; mais lorsqu’il ôta civilement son chapeau en passant auprès d’elle, à ma grande surprise, au lieu de lui rendre son salut avec une révérence roide et peu gracieuse, elle l’accosta avec son plus aimable sourire, et, marchant à côté de lui, commença à lui parler avec toute la gaieté et l’affabilité imaginables, et ainsi nous continuâmes le chemin tous les trois ensemble.

Après une courte pause dans la conversation, M. Weston fit une remarque adressée particulièrement à moi, et se référant à quelque chose dont nous avions parlé auparavant ; mais, avant que je pusse répondre, miss Murray prit la parole et répondit pour moi. Il répliqua, et de ce moment jusqu’à la fin du voyage elle l’accapara entièrement pour elle seule. Cela pouvait être dû en partie à ma propre stupidité, à mon manque de tact et d’assurance ; mais je me sentais mortifiée ; je tremblais d’appréhension, et j’écoutais avec envie sa conversation aisée et rapide, et voyais avec anxiété le radieux sourire avec lequel elle le regardait de temps en temps ; car elle marchait un peu en avant, afin (pensais-je) d’être vue aussi bien qu’entendue. Si sa parole était légère et triviale, elle était amusante, et elle n’était jamais embarrassée pour trouver quelque chose à dire, ou pour trouver les mots propres à rendre sa pensée. Il n’y avait maintenant rien dans sa manière d’impertinent et de babillard, comme lorsqu’elle se promenait avec M. Hatfield ; c’était seulement une douce et aimable vivacité, que je croyais devoir plaire particulièrement à un homme de la disposition et du tempérament de M. Weston.

Quand il fut parti, elle se mit à rire et à se murmurer à elle-même : « Je pensais que je pourrais faire cela !

— Faire quoi ? demandais-je.

— Fixer cet homme.

— Que voulez-vous donc dire ?

— Je veux dire qu’il va rentrer chez lui et rêver de moi. Je l’ai blessé au cœur.

— Comment le savez-vous ?

— Par beaucoup de preuves infaillibles, et spécialement par le regard qu’il m’a adressé lorsqu’il est parti. Ce n’était pas un