Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/719

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probablement jamais ? Êtes-vous si peu sociable que vous ne puissiez vous faire des amis ?

— Non ; mais je n’en ai point encore fait un, et dans ma position présente il n’y a aucune possibilité non-seulement d’en faire un, mais même de former une connaissance vulgaire. La faute peut en être en partie à moi, mais pas entièrement, pourtant, je l’espère.

— La faute en est partie dans la société, et partie, je le pense, dans ceux qui vous entourent : partie aussi en vous-même, car beaucoup de ladies, dans votre position, se feraient remarquer et estimer : Mais vos élèves doivent en quelque sorte être des compagnes pour vous ; elles ne peuvent pas être de beaucoup d’années plus jeunes que vous ?

— Oh ! oui, c’est une bonne compagnie quelquefois ; mais je ne peux pas les appeler des amies, et elles ne pensent pas à m’appeler de ce nom ; elles ont d’autres compagnes plus appropriées à leurs goûts.

— Peut-être êtes-vous trop sage pour elles ? Comment vous amusez-vous quand vous êtes seule ? lisez-vous beaucoup ?

— La lecture est mon occupation favorite, quand j’ai du loisir et des livres à lire. »

Des livres en général, il passa à différents livres en particulier, et continua par de rapides transitions d’un sujet à l’autre, jusqu’à ce que plusieurs matières, tant de goût que d’opinions, eussent été discutées à fond, dans l’espace d’une demi-heure, non sans beaucoup d’observations de sa part : car il cherchait évidemment moins à me communiquer ses pensées et ses prédilections qu’à découvrir les miennes. Il n’avait pas le tact ou l’art d’arriver à ce but en tirant adroitement mes idées ou mes sentiments de l’exposition réelle ou apparente des siens, ni d’amener la conversation, par des gradations insensibles, sur les points qu’il voulait éclaircir ; mais il procédait avec une douce brusquerie et une franchise naïve qui ne pouvaient nullement m’offenser.

Et pourquoi s’intéressait-il à mes capacités morales et intellectuelles ? « Que peut lui faire ce que je pense ou ressens ? » me demandais-je. Et mon cœur battait en réponse à cette question.

Mais Jane et Susanne Green eurent bientôt atteint leur maison. Pendant qu’elles parlementaient à la porte du parc, essayant de persuader à miss Murray d’entrer, je désirais que M. Weston partît, afin qu’elle ne le vît pas avec moi en se retournant ;