Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/95

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

croyait imprudent. Maintenant, que lui reste-t-il à faire ? S’abandonner à sa passion, ou la vaincre ? Poursuivre l’objet de son amour, ou se replier sur elle-même ? Si elle est faible, elle suivra le premier de ces expédients, au risque de perdre l’estime de Robert et d’encourir son aversion ; si elle a de la raison, elle imposera silence à son cœur et mettra un frein à ses émotions révoltées. Elle se décidera à envisager la vie telle qu’elle est ; à étudier sérieusement, consciencieusement, ses rudes vérités, ses difficiles problèmes.

Il paraît que Caroline avait quelque peu de raison, car elle quitta Robert avec calme, sans plainte, sans questions, sans qu’un seul de ses traits fût altéré, sans qu’une larme brillât dans ses yeux, alla reprendre, comme de coutume, ses études avec Hortense ; et, lorsque l’heure du dîner fut venue, elle retourna à la maison sans s’arrêter.

Après le dîner, lorsqu’elle se trouva au salon seule, ayant laissé son oncle déguster son verre de vin de Porto, la difficulté qui se présenta à elle et l’embarrassa fut celle de savoir comment elle emploierait le reste de la journée.

Elle avait espéré faire ce qu’elle avait fait la veille, que la soirée se passerait encore avec le Bonheur et Robert. Ce matin elle avait reconnu son erreur, et cependant elle ne pouvait se faire à l’idée qu’aucun hasard ne pourrait ce soir-là la rappeler au cottage de Hollow, ou ramener Moore dans sa société.

Il était souvent arrivé à Robert de venir, après le thé, passer une heure avec son oncle ; la sonnette retentissait alors ; sa voix se faisait entendre dans le corridor, au crépuscule, lorsqu’elle était loin d’attendre un semblable plaisir ; cela est arrivé deux fois depuis qu’il l’a traitée avec une singulière réserve ; et, quoiqu’il lui parlât rarement en présence de son oncle, assis en face de la table où elle travaillait, il a eu constamment les yeux fixés sur elle pendant sa visite. Le peu de mots qu’il lui a adressés étaient encourageants ; il lui a dit bonsoir d’une manière affectueuse. « Qui sait ? il peut venir ce soir, » disait la Fausse Espérance ; Caroline savait que c’était la Fausse Espérance qui parlait, et néanmoins elle écoutait.

Elle voulut lire, ses pensées erraient à l’aventure ; elle essaya de coudre, chaque point était un ennui ; l’occupation lui devenait insupportable ; elle ouvrit son pupitre et voulut écrire une composition française, elle n’écrivit que des bévues.

Tout à coup, la sonnette retentit avec violence ; son cœur