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LE CORRECTEUR TYPOGRAPHE

et apprécier vivement cette découverte qui « permettait de multiplier à l’infini les livres d’études et de mettre à la portée des maîtres et des élèves des textes corrects au lieu des copies défectueuses que livraient depuis quelques années les copistes ignorants et négligents ».

La Pierre résolut de faire profiter Paris des bienfaits de la nouvelle invention. Il s’ouvrit de son projet à l’un de ses amis et confidents, Guillaume Fichet, né en 1433, à Petit-Bornand (Savoie), professeur de rhétorique et de belles-lettres à la Sorbonne, qui, en 1469, avait été recteur de l’Université.

« Dédaignant par avance les clameurs de la puissante corporation des écrivains et des copistes[1] dont la nouvelle invention ruinerait sûrement le crédit, Jean de La Pierre et Guillaume Fichet décidèrent, de leur initiative privée, de faire venir, de la région où l’imprimerie avait pris naissance, des élèves de Gutenberg. » Ce furent Michel Friburger, de Colmar (Alsace), maître ès arts, avec lequel La Pierre s’était lié d’amitié alors qu’il étudiait à l’Université de Bâle, Ulrich Gering et Martin Crantz, de Munster, tous deux ouvriers.

Les trois compagnons arrivèrent à Paris dès les premiers mois de l’année 1470. Le local propre à l’installation du matériel faisait défaut ; mais, généreusement, le prieur offrit quelques (trois) modestes chambres (humiles casas) de son appartement, et l’atelier fut établi dans les locaux de la Sorbonne même (in ædibus Sorbonæ).

Aussitôt Jean de La Pierre, Guillaume Fichet, les maîtres de l’Université, les professeurs jurés dont la parole et la science attirent autour de leur chaire les disciples de l’Europe entière se souviennent que la charte de leur corporation les constitue gardiens des belles-lettres et des doctrines religieuses. Ils s’intéressent au développement de l’art

  1. Un auteur contemporain, M. P. Cuchet, émet cette singulière idée : « Les moines copistes étaient réfractaires au nouvel art ; ils firent tout leur possible pour l’enrayer. Les moines voyaient leurs moyens d’existence compromis, ruinés, et ils s’employèrent activement à arrêter l’imprimerie dans son essor… À ce moment, les monastères entièrement peuplés de moines scribes, dont c’était la profession et le seul moyen de vivre, s’émurent… » (Bulletin officiel des Maîtres imprimeurs de France, mai 1923, p. 202). — Ni Egger, ni Claudin, encore moins P. Mellottée et L. Badiguer ne laissent même supposer pareille attitude de la part des moines copistes. Tout au contraire, il faut remarquer que, dès l’apparition de l’imprimerie la plupart des abbayes et des monastères s’empressèrent de faire exécuter à l’aide du « nouvel art » leurs bréviaires ou missels particuliers. L’influence des copistes religieux était, d’ailleurs, nulle en égard à celle des copistes laïques suppôts de l’Université.