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Page:Brown - Pages intimes 1914-1918.djvu/13

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Sur la Meuse, j’ai vu flamber toute une ville
Et de ses habitants exhumer plus de mille
— De tout âge, ô pitié, du plus tendre au plus mûr —
Qu’une soldatesque ivre avait collés au mur
Et jetés, morts ou vifs, par tas, à l’ossuaire.
Le mur toujours debout, le mur ensanglanté,
Sacré comme un autel, saint comme un reliquaire,
Raconte encor ce drame en son atrocité.
La ville d’autrefois, claire, mirant au fleuve
Sa silhouette fraîche au juvénile attrait,
Verdoyante jadis, qui la reconnaîtrait
Sous les cheveux blanchis, sous les voiles de veuve,
Sous les ombres errant le long des quais déserts ?
Le passant cherche en vain à tâtons la Grand’Rue
Et le clocher bulbeux s’est évadé des airs.
Telle une cité morte, au jour réapparue,
Avec ses toits croulants, ses seuils carbonisés,
Sans qu’une âme respire à ses foyers brisés.



Sur les routes j’ai vu des hommes par centaines
Après un long exil ramenés en troupeaux
Des chantiers ennemis et des geôles lointaines,
Hâves, désemparés et les pieds en lambeaux.
Ni menaces, ni coups, ni promesses du Maître,
Rien n’avait ébranlé leur mâle entêtement ;
À qui leur commandait des besognes de traître
Ils s’étaient refusés irréductiblement.



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