Page:Bruel, L'Oubangui, voie de pénétration dans l'Afrique centrale française, Plon, 1899.djvu/3

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pendant, comme elles avaient été tracées à Berlin ; et quel cas la France elle-même, reconnaissons-le, a-t-elle fait de ce même contrat de 1884, lorsqu’elle a, sans consulter les puissances, signé, en 1894 aussi, la convention franco-congolaise ? Dans cette même année, l’Angleterre, le 12 mai ; la France, le 14 août, attestaient par ces accords particuliers, contraires au protocole de 1884, que celui-ci était, au vrai, pour elles lettre morte.

L’équilibre africain n’est donc pas aussi stable qu’on l’avait voulu faire. Aussi serait-ce une faute grave de croire que le contrat de Berlin constitue une protection inviolable à l’abri de laquelle chacun peut, au mieux de ses intérêts, tirer parti de ses possessions et de son hinterland. De même que l’on a vu, avant le traité franco-congolais, qui n’est qu’un lien susceptible de rupture, un litige surgir au sujet des frontières nord-orientales entre le Congo français et l’État libre, de même des difficultés sont encore pendantes entre l’Angleterre et nous relativement au territoire du Bahr-el-Ghazal. Tant il est vrai que nul ne peut se reposer tranquillement sur le lendemain et qu’en vue de ce qui peut se produire, dans un avenir proche ou lointain, il importe de ne pas rester inactifs.

Les Belges ont parfaitement compris qu’actuellement, dans les entreprises coloniales, les faits acquis, ayant date certaine, règlent les droits. Ils ne se sont pas bornés à enregistrer les titres de propriété que l’acte de Berlin leur a attribués au Congo. Ils se sont hâtés de donner à ces titres une valeur véritable en travaillant à la reconnaissance du fleuve et de ses affluents, qu’on leur accordait le droit d’explorer pour y fonder des établissements. Les noms belges de Hanssens, Van Gèle, Hodister, Bia, Le Marinel, Van Kerkhoven, Del commune, de la Kéthulle, etc., se rattachent glorieusement à ces travaux. Grâce à ces hommes tenaces, les uns pionniers hardis, les autres habiles négociateurs ou officiers décidés à faire réussir leurs armes, le roi Léopold a mis la main sur un pays cent fois plus grand que la Belgique. Non seulement l’État indépendant s’est agrandi territorialement au delà de toutes les espérances des promoteurs de l’entreprise, mais par la construction de la voie ferrée de Léopoldville à Matadi, il a conquis tout le marché congolais de cette région, avec le monopole de l’exploitation du bassin du Congo, qui se trouve maintenant relié à Anvers par les vapeurs faisant le service d’Europe en Afrique. Et cette prospérité dont les progrès sont considérables se réalisait pendant que le Gabon-Congo, qui nous appartient depuis plus de quarante ans, restait stérile !

Est-ce à dire que la France n’ait pas les mêmes ressorts de vitalité que la Belgique, que nos colons manquent de ces qualités positives, pratiques, de cette initiative entreprenante qu’on ne conteste point aux Belges, mais dont ces derniers n’ont sans doute pas le privilège exclusif ? Nous savons que le pessimisme, d’ailleurs facile, croit la lutte impossible, et nous pourrions encore citer plus d’un partisan de la déchéance volontaire et du renoncement à toute tentative coloniale ultérieure au Congo ou sur tout autre point de l’Afrique. Mais nous connaissons heureusement des esprits plus résolus, qui s’appliquent à relever l’énergie française et qui croient au retour de la grande époque de Dupleix. La volonté est le levier des âmes. Il y a encore en France des hommes qui veulent. C’est sur eux que l’on peut compter. L’École coloniale de Paris nous en est un garant. Les conférences qu’elle vient d’organiser, et où l’on a déjà entendu MM.  Doumer, Gentil, Bruel, et bien d’autres,