Aller au contenu

Page:Bruneau - Musiques d’hier et de demain, 1900.djvu/160

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
150
MUSIQUES D’HIER ET DE DEMAIN

poème, un tableau, une partition sans y mettre le meilleur de son cœur heureux ou malheureux, est un faux artiste qui pourra, grâce à sa fantaisie, à son adresse, amuser la foule un moment mais non la conquérir définitivement et se faire aimer d’elle à travers les siècles. Qui n’a pas souffert sa propre vie dans son œuvre, qui n’a pas repleuré ses larmes, recrié ses joies ou ses douleurs, assis à sa table ou appuyé à son chevalet, n’est pas digne de tenir à la main une plume ou un pinceau. De quel droit, alors, défendez-vous au musicien d’aller chercher ses modèles là où l’écrivain, le peintre et le sculpteur les prennent, et pourquoi lui supprimez-vous les libertés que vous accordez aux autres ? Mieux encore que ses sœurs en idéal, la musique est une confidente directe d’âmes et le jardin mystérieusement fleuri d’où elle s’élance n’a point de bornes. Si celui-ci chante moins mal les passions de son époque, les ayant ressenties, que celles des âges défunts, les ignorant de façon absolue, laissez-le faire, car c’est vous qui rapetissez notre art à lui contester l’infinie puissance expressive, à lui refuser la gloire d’être de tous les temps, de tous les pays, à le reléguer dans la brume du passé, tandis qu’il devrait marcher à la tête des autres arts, vers le soleil de l’avenir.