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SAPHO

Cependant, si la musique peut fort bien s’accommoder d’un sujet actuel, il faut que ce sujet soit élargi par une grande idée humaine qui le traverse, le généralise, l’élève très au-dessus de l’anecdote exceptionnelle, et nécessite ou au moins justifie le langage des sons. Sans quoi, je le répète, l’inutilité du chant et des symphonies apparaît cruellement avec la gêne, l’entrave qu’apporte en certains cas ce langage. À cet égard, la Sapho de M. Alphonse Daudet, comme la Manon Lescaut de l’abbé Prévost, dont M. Massenet a fait son chef-d’œuvre, se prêtait parfaitement à une adaptation lyrique. Le poème d’amour est éternel et universel. Devenu, par la modernité des êtres et de leurs sentiments, le poème du « collage » — qu’on me passe le mot — il prend à nos yeux une signification plus terrible, plus haute, plus frappante encore, et des feuillets du roman sort un souffle de sensualité énorme et fatale qui suffirait à déchaîner les tempêtes de l’orchestre. Et c’est le poème de la rupture aussi et surtout. — Ah ! qu’elle est émouvante et profondément, et foncièrement musicale, cette scène de la rupture tragique dans le bois frissonnant, vivant, souffrant et chantant, scène qui, hélas ! n’est pas dans la pièce. Mais, pour s’accorder avec le système instrumental et vocal choisi cette fois