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RENOUVEAU

Ce fanatisme, comme tous les fanatismes, du reste, est extraordinairement, étonnamment, magnifiquement aveugle. Par devoir professionnel, par suprême joie d’art, j’assiste aux premières représentations, à l’Opéra, des drames de Wagner, dont je connais depuis des années et des années les partitions, les ayant lues, étudiées, entendues maintes fois à l’étranger. Je crois pouvoir dire que certains de ces drames exigent, pour être compris, une attention non pas d’un soir mais de plusieurs semaines. Il semble que leur complexité, leur longueur, leur forme littéraire et musicale, et même leur écrasante beauté, s’opposent à une immédiate communion. Le public de notre Académie nationale n’a besoin, lui, ni de lectures, ni d’études, ni d’auditions préalables. En pleine ivresse, il pénètre dans la forêt sonore et, plus les branches touffues de ses arbres gigantesques s’entrecroisent étroitement, plus ses chemins sont difficiles à parcourir, plus hasardeuse, fatigante, inquiétante est l’exploration à laquelle il n’a pas pris soin de se préparer, plus son plaisir est vif. Pendant ces représentations, l’extase se montre sur tous les visages, l’extase tranquille, complète et définitive, obtenue naturellement, simplement, sans que cela coûte aucune peine à l’esprit, et, à l’entr’acte, dans les