Page:Brunet - Le mariage blanc d'Armandine, contes, 1943.djvu/134

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chaque matin, un prêtre venait, à qui il n’offrait même pas le déjeuner. Il était devenu sauvage, ne voyait personne et n’adressait quelques mots qu’à une vieille bonne qui faisait son ménage. Tout le jour, il était plongé dans les mystiques, de Denys au père Guilloré, il les possédait tous. Il lisait ou il psalmodiait. La vieille bonne, lorsque je l’ai pris ici, m’a avoué qu’il se donnait la discipline, à grands coups, la nuit, en criant : « Expiation ! expiation ! » Dans la saison, il se faisait servir des racines de pissenlits, non point pour la salade, mais parce que les saints mangeaient des racines. On finit par ne plus guère s’en occuper, mais depuis sa dernière aventure, les plaintes s’accumulaient. Les dignes Anglais, ses voisins, n’aimaient pas à entendre la nuit psalmodier le bréviaire de la voix que tu connais. Pour faire court, je te dirai qu’à la déclaration de la guerre de 1914, il fit parvenir une dépêche à l’empereur Guillaume : « Majesté, si, comme je l’espère, vous faites la guerre pour délivrer l’Irlande des griffes de l’Ulster, je suis avec vous, et tout mon peuple avec moi ». Ce ne fut pas long, et la famille le fit interner. Il y a quelques années, on l’a mis entre mes mains. Pauvre type !