Page:Brunet - Les hypocrites (1) - La folle expérience de Philippe, 1945.pdf/60

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NUIT DE NOCES

Claire le connaissait mieux qu’il ne le pensait : elle avait prévu qu’il viendrait. Elle l’attendait. Elle attendait aussi le cadeau, comme une taxe et un tribut. Chez Claire, il ne fallait jamais arriver les mains vides. Non pas qu’elle fût vénale ou intéressée : c’était une femme qui ne jugeait que par les témoignages sensibles. Comme Thomas, il lui fallait toucher. Un peu méridionale, le sourire ne lui suffisait pas, vous deviez rire, et sans larmes, pas d’émotions. C’est pourquoi, personne plus que Claire n’était fidèle aux rites : depuis sa petite enfance, il n’y avait que la mort qui pût l’empêcher d’adresser une lettre à un anniversaire, telle carte au jour de l’An. Son esprit fut un registre d’éphémérides, avec la liste de ce qu’il faut faire tel jour, à telle occasion. Le plus grand chagrin ne lui faisait oublier les drapeaux de la Fête du Roi, le jambon des matins de Pâques ni une visite mortuaire. Elle y mettait la poésie et l’ordre que sa vie bousculée ne lui avait point permis.

Quand Philippe arriva et qu’elle le vit les mains vides, elle fit contre mauvaise fortune bon cœur. — « J’aime les hommes qui ne s’embarrassent de rien et qui déménagent sans rien apporter. » Le fait est que Philippe ne songeait pas à emménager aujourd’hui et qu’il n’était