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LA FOLLE EXPÉRIENCE

licieusement de tout. L’alcoolisme de Philippe n’était qu’une évasion de romancier.

Le romancier se reposa dans la lecture. Il y avait un Racine qu’il lui avait donné, sur la table, et Philippe se plongea dans Phèdre, dont la naïveté mélodieuse le ravissait. Il en oubliait tous les Valéry du monde et la musique des vers faisait pleurer son ivresse. Enfin, il s’endormit.

La lune de miel commençait bien. Au milieu de la nuit, étendu dans l’ombre — l’avait-il attendue, quand était-elle revenue, s’était-il endormi ? tout se brouillait en lui — Philippe perçut que Claire venait le couvrir d’un plaid, doucement, délicieusement. Il n’osa l’entourer de ses bras et il feignit de dormir. Philippe, qui se sentait coupable, surtout parce que la dépression commençait, était ému de ce pardon et de cette résignation : cette nuit, elle lui immolait jusqu’à son orgueil et sa vengeance. Comme toujours, incapable de se fixer et de vivre au présent, une scène surgissait à la mémoire de Philippe.

Un temps, sa timidité avait eu ses habitudes dans un mauvais lieu fort bourgeois, où la maîtresse tenait les filles avec une sévérité de pion. Il était défendu de s’abandonner, et c’était une règle de morale que de se refuser la moindre fantaisie, la plus minime bonté surérogatoire, le client fût-il un habitué : l’ascétisme au bordel, et un ascétisme qui raffinait.

Une nuit, Philippe s’éveilla dans une chambre