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LA FOLLE EXPÉRIENCE

et des sentiments de l’autre. On aurait dit que la maison familiale, où ils passaient pourtant le plus clair de leur temps, n’était qu’un lieu neutre, un endroit de passage. Dans cette demeure qu’on ne quittait pas, on se frôlait, on se coudoyait, comme dans un couloir d’hôtel. Tous ces meubles, ces objets, auxquels on tenait avec avarice, restaient comme anonymes. Chacun y menait sa vie à part. Un peu de la communauté, une communauté avec clôture, une clôture à laquelle les plus vieux ne se sont pas encore faits.

Philippe n’était pas fils unique, mais le petit frère n’avait pas d’importance, qui mourut tôt, ne laissant que des souvenirs niais. La solennité du docteur, de courte vitalité, avait assez de Philippe pour exercer sa paternité. Ce n’est que par occasion qu’il s’occupait de l’autre, dont la naissance avait provoqué la mort de sa femme : il avait oublié la femme presque aussitôt et l’enfant en même temps. Philippe lui était sujet de discours, et, comme il recommençait et corrigeait, amendant et refaisant ce qu’il disait, il n’avait jamais terminé.

Pour la tante Bertha, Philippe était l’intermédiaire le plus commode entre elle-même et le cousin Joseph. Il lui servait de truchement. Voulait-elle qu’on s’aperçût de sa présence, elle disait :

— Ton père t’a montré à placer tes blocs l’un après l’autre, pas tous à la fois… Ton père