Page:Brunetière - Cinq lettres sur Ernest Renan, 1904.djvu/34

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il l’a aimée, singulière et rare, paradoxale et surprenante, changeante et contradictoire, favorable et complaisante au jeu de sa virtuosité. Il a cru et il a dit que, comme nous faisions seuls la beauté de ce que nous aimons, ainsi ferions-nous la vérité de ce que nous croyons. C’est la formule même du scepticisme, et du plus dangereux scepticisme, celui qui s’insinue sous le couvert de l’érudition.

« Et dites-moi un peu, demandait Sganarelle à son maître don Juan, qu’est-ce que vous croyez ? — Je crois que deux et deux sont quatre et que quatre et quatre sont huit. » Et Sganarelle de répondre : « Votre religion n’est donc, à ce que je vois, que de l’arithmétique. »

La religion de Renan, sa métaphysique, sa philosophie n’ont jamais été que de l’érudition. Il a cru que Moïse n’était pas l’auteur du Pentateuque, et il a cru discerner des interpolations dans le Quatrième Évangile. Il a cru qu’on pouvait déterminer l’âge des poèmes d’Homère et des rédactions successives de la Chanson de Roland… Mais, de ce qu’il le croyait, il s’est cru dispensé d’approfondir le reste, c’est-à-dire toutes les questions que n’atteignaient point les