Page:Brunetière - Cinq lettres sur Ernest Renan, 1904.djvu/43

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Mais, en fait, il était bien de l’école. C’était bien d’eux qu’il procédait ! C’était bien de l’auteur de la Bible expliquée par les aumôniers du roi de Pologne, et du marquis de Condorcet, l’auteur de l’Essai sur l’histoire des progrès de l’esprit humain, qu’il tenait sa haine du « Fanatisme », sa croyance au « Progrès », sa confiance dans le pouvoir de la raison et de la « Science » ! Et s’il

    moins spirituel, ni celui dont Zarathoustra s’est le moins largement inspiré, avait donné, en 1841 et en 1845, deux écrits d’une grande importance : l’Essence du christianisme et la Religion, dont on venait de traduire en 1850 quelques fragments en français. La violence en était extrême, et l’idée que Feuerbach donnait du christianisme ressemblait déjà beaucoup à celle que F. Nietzsche s’en est formée plus tard, comme d’une religion « d’esclaves », de « pauvres gens », de « malvenus ». C’était contre cette conception ou plutôt cette caricature de la religion que Renan s’élevait avec éloquence, et il s’écriait :

    « Plût à Dieu que M. Feuerbach se fût plongé à des sources plus riches de vie que celles de son germanisme exclusif et hautain. Ah ! si assis sur les ruines du mont Palatin ou du mont Cœlius, il eût entendu le son des cloches éternelles se prolonger et mourir sur les collines désertes où fut Rome autrefois ! ou si de la plage solitaire du Lido, il eût entendu le carillon de Saint-Marc expirer sur les langues ; s’il eût vu Assise et ses mystiques merveilles et la grande légende du second Christ du moyen âge tracée par le pinceau de Cimabuë et de Giotto ; s’il se fût rassasié du regard long et doux des vierges du Pérugin, ou qu’à San Dominico de Sienne il eût vu sainte Catherine en extase, non ! M. Feuerbach ne jetterait pas ainsi l’opprobre à une moitié de la poésie humaine, et ne s’exclamerait pas comme s’il voulait repousser loin de lui le fantôme d’Iscariote ! »

    Ces deux citations définissent assez bien l’attitude que Renan aurait voulu ou aimé qui fût la sienne et qu’en effet il a gardée aussi longtemps que les circonstances la lui ont permise. Mais elle était « intenable », étant contradictoire. « Donner et rete-