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HISTOIRE ET LITTÉRATURE.

mode, l’exemple jettent, à chaque génération, dans le courant de la langue, un certain nombre d’expressions nouvelles dont la génération suivante n’accepte l’héritage que sous bénéfice d’inventaire. Je me sers exprès de ce lieu commun. Les seules, en effet, de ces expressions qui survivent, sont celles qui continuent de répondre à quelque chose de réel, de vivant, de toujours actuel. Tant qu’il y aura des héritages, et tant que les héritiers seront dans le cas d’ignorer si l’héritage comporte ou plus de charges ou plus d’avantages, l’acceptation sous bénéfice d’inventaire continuera de représenter quelque chose d’actuel, et par conséquent il sera légitime d’en tirer toutes les métaphores et similitudes que l’on voudra. Mais, au contraire, prenez l’expression que voici : être l’esclave de ses passions. N’est-il pas évident que, telle quelle, et quoique l’on en puisse encore user, elle est marquée toutefois dès à présent au signe de la caducité ? C’est que ce mot d’esclave, dans l’entière propriété de son sens, perd tous les jours en étendue de valeur exactement ce que l’esclavage lui-même perd de terrain. À Rome, au contraire, il y a vingt-cinq siècles, et il n’y a pas cent ans dans nos colonies d’Amérique, le mot était plein de sens, riche de nuances, et propre par conséquent à d’infinis usages. Car, dans quelque signification métaphorique ou détournée qu’on l’employât, la réalité, prochaine, immédiate, accessible à tous, contrôlait aussitôt la légitimité du tour, et l’exactitude approximative de la métaphore.