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HISTOIRE ET LITTÉRATURE.

grès ne soit qu’un mot, mais au moins le mouvement est un fait. Et si les choses restent éternellement les mêmes, il y a comme un perpétuel déplacement de point de vue. L’idéal de l’humanité ne diffère pas sensiblement d’avec lui-même, encore moins la réalité de cette vie quotidienne, mais ce sont d’autres hommes qui viennent prendre leur part de la vie, et ce sont d’autres imaginations qui rêvent du même idéal. C’est pourquoi le lieu commun n’est jamais si commun, ni la banalité jamais si banale. Il suffira toujours, pour intéresser les hommes, de leur parler d’eux-mêmes, et d’eux-mêmes tels qu’ils sont dans le temps précis qu’on en parle. Certainement Manon Lescaut n’empêchera jamais personne, pour peu qu’il en soit capable, d’écrire la Dame aux camélias. Lieu commun encore, s’il en fut, que l’histoire de la courtisane amoureuse, mais lieu commun qui sera neuf toutes les fois que l’artiste ira directement le reprendre dans la réalité voisine et la nature environnante.

Il n’y a de banal, au mauvais sens du mot, que les types dont le modèle a cessé d’être sous nos yeux, c’est-à-dire dont nous ne pouvons pas soumettre la vérité littéraire ou la représentation pittoresque au contrôle de l’expérience prochaine. Remarquez en passant que c’est le vice intérieur d’une certaine tragédie classique ou du drame romantique ; remarquez que c’est le vice intérieur du roman historique. Il n’importe pas que quelques grands hommes aient triomphé de la difficulté. Si le Pompée de Corneille