Page:Brunetière - Honoré de Balzac, 1906.djvu/258

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que ne donnent point la plupart des critiques, c’est que « la représentation de la vie », étant l’objet du roman, le « modèle », entre l’auteur de Gil Blas et celui de la Cousine Bette, a changé. Ou, en d’autres termes encore, l’évolution dont Balzac a été le grand ouvrier dans l’histoire du roman moderne, n’est elle-même que l’expression d’une évolution qui s’accomplissait en même temps dans les mœurs ; et c’est justement ce qui fait l’incomparable originalité du roman de Balzac. Tandis qu’autour de lui ses rivaux de popularité, quand ils ne sont pas, comme Dumas ou comme Eugène Suë, de simples amuseurs, ou, moins encore que cela, des exploiteurs de leur talent, n’imitent de la vie de leur temps que ce qu’on en avait pour ainsi dire imité de tout temps, — et, par exemple, ce qui nous permet aujourd’hui de comparer Manon Lescaut avec la Dame aux Camélias, — c’est à ce que son temps lui offre de caractères nouveaux, de singularités « non encore vues » que Balzac s’attache ; et précisément c’est ce que des lecteurs nourris dans les classiques éprouvent infiniment de peine à lui pardonner. Ce qui leur déplaît, dans sa