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Page:Brunetière - L’Évolution de la poésie lyrique en France au dix-neuvième siècle, t2, 1906.djvu/162

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L’ÉVOLUTION DE LA POÉSIE LYRIQUE

réalités datés de 1852, — nous avons vu se passer bien des choses, nous avons vu bien des changements du goût, nous en avons vu s’opérer d’autres et de plus profonds jusque dans la structure de la société, comme dans la conception de l’art et de la science ; mais ces beaux poèmes n’ont pas pris une ride, ils n’ont pas aujourd’hui plus d’âge qu’ils n’avaient en naissant ; et les Médiations, les Nuits, les Contemplations ont vieilli par endroits ; nous y aurions noté, si nous l’avions voulu, plus d’une trace de rhétorique ; mais tout ce qu’ils étaient quand ils ont paru pour la première fois, Khirôn et Niobé, le Rêve du jaguar et le Sommeil du condor, la Fontaine aux lianes ou le Manchy le sont toujours, le sont encore, avec seulement, et en plus, ce que le temps ajoute aux choses qu’il ne détruit pas. Et cependant, ils sont « modernes » ! Nous nous y retrouvons ! Nous nous y reconnaissons ! Écrits pour l’immortalité, nous sentons qu’ils ne pouvaient être conçus et réalisés que de notre temps. Toutes ces idées, que nous avons vues naître ou se formuler vers 1850, ils les expriment ; ils les incarnent ; elles en sont la substance même.


I


Quel est donc, Messieurs, ce mystère ou, pour mieux dire, ce paradoxe ? Anciens à la fois et modernes, « barbares » et contemporains d’une civilisation aussi compliquée que la nôtre, à quel mélange, à quelle