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Page:Brunetière - L’Évolution de la poésie lyrique en France au dix-neuvième siècle, t2, 1906.djvu/163

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M. LECONTE DE LISLE

intime union de qualités que l’on croirait d’abord contradictoires, ces poèmes doivent-ils leur double caractère ? Comment le même homme, ou plutôt le même art, a-t-il pu se faire le contemporain des Hymnes homériques et des Fleurs du mal, le compatriote à la fois des bardes armoricains, des scaldes Scandinaves, de Darwin et de Renan ? C’est ce que je voudrais aujourd’hui vous montrer ; et si j’y réussissais, je vous aurais peut-être défini trois choses en même temps : l’individua lité poétique de M. Leconte de Lisle ; la place de son œuvre dans l’évolution de la poésie contemporaine ; et, — comme je vous l’annonçais l’autre jour, — une transformation d’idéal qui ne le cède pas en importance à celle même que nous avons vue s’accomplir dans et par l’œuvre des Lamartine et des Hugo.

Pour cela, je ne vous reparlerai pas du pessimisme, vous en ayant dit naguère ce que j’en avais d’essentiel à dire, quand je vous parlais d’Alfred de Vigny. Sans doute, je sais la différence qu’il y a du pessimisme de l’auteur de l’Illusion suprême ou de la Fin de l’homme à celui de l’auteur de la Colère de Samson et de la Maison du berger ! Plus hindou, si je puis ainsi dire, moins occidental, si vous l’aimez mieux, plus philosophique en un certain sens, le pessimisme de M. Leconte de Lisle serait plus voisin de celui de Théophile Gautier. Mais enfin ce n’est pas là que je vois son originalité de poète. Le pessimisme est une disposition générale d’esprit, — je ne veux pas dire contemporaine, puisque, comme vous le savez, le chris-