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Page:Brunetière - L’Évolution de la poésie lyrique en France au dix-neuvième siècle, t2, 1906.djvu/181

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M. LECONTE DE LISLE


en quelque sorte personnelle. L’homme n’est plus « le roi des animaux ». S’il forme actuellement le dernier anneau de la chaîne, il ne le sera pas toujours, — on peut du moins le croire, — et très assurément il ne l’a pas toujours été. D’où, Messieurs, cette conséquence que, pour connaître la nature, la première démarche de l’esprit devra donc être de s’abstraire du point de vue proprement humain. Dans l’espace, comme dans le temps, c’est peu de chose que l’homme ; traitons-le donc comme peu de chose ; et tout d’abord, pour l’étudier, commençons par le replacer à son rang, — et non pas hors cadre, — dans la nature, dont il dépend.

Logiquement, nécessairement, l’art a suivi ; il a tâché de suivre ; il a compris qu’il fallait suivre et que, comme la finalité de Fénelon, par exemple, et comme les cieux de Ptolémée, les images, les habitudes, les représentations qu’il avait héritées de ses anciens maîtres avaient, elles aussi, fait leur temps. Notez ici, à ce propos, la soudure des deux sens du mot de naturalisme[1] : le philosophique et l’esthétique. Car

  1. Il n’y a pas de confusion de mots généralement consentie qui n’exprime, quand on y songe, quelque parenté de sentiments ou d’idées. Aussi persistons-nous à nous servir du mot de naturalisme, et non pas de celui de réalisme, comme on nous l’a quelquefois demandé. L’auteur des Bourgeois de Molinchart est un « réaliste », l’auteur de l’Éducation sentimentale est un « naturaliste » ; et voilà une première différence. J’en énumérerais, au besoin, beaucoup d’autres, que ce n’est pas ici le lieu de signaler. Mais je ne saurais omettre d’indiquer au moins la principale : c’est qu’une esthétique « naturaliste » étant, par définition, aussi vaste que la nature