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Page:Brunetière - L’Évolution de la poésie lyrique en France au dix-neuvième siècle, t2, 1906.djvu/180

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L’ÉVOLUTION DE LA POÉSIE LYRIQUE

Nous avons changé tout cela.

Ce n’est pas seulement l’astronomie, ce sont toutes les sciences qui se sont jointes ou conjurées ensemble pour nous déshabituer de voir dans la Terre le centre ou l’ombilic du monde. Le développement des sciences naturelles, en particulier, nous a fait concevoir que, bien loin d’être l’enfant chéri, l’enfant gâté de la création, nous n’étions sur la terre même qu’un accident d’un jour. Toutes les formes de la vie ont été mises par là comme sur un pied d’égalité. L’animal et la plante ont conquis de ce jour une importance


    un art qui consistait à faire choix des choses, à les embellir, à les rectifier, qui vivait dans l’absolu plutôt que dans le relatif, apercevait la nature comme elle est, mais se plaisait à la montrer comme elle n’est pas. Tout se rapportait plus ou moins à la personne humaine, s’y subordonnait et se calquait sur elle, pour qu’en effet certaines lois de proportions, et certains attributs, comme la grâce, la force, la beauté, savamment étudiés chez l’homme et réduits en cofps de doctrine, s’appliquaient aussi à ce qui n’était pas l’homme. Il en résultait une sorte d’universelle humanité ou d’univers humanisé, dont le corps humain, dans ses proportions idéales, était le prototype. Histoire, versions, croyances, dogmes, mythes, symboles, emblèmes, la forme humaine exprimait presque seule tout ce qui pouvait être exprimé par elle… » Il montre alors quelles étaient en peinture les conséquences de cette manière de penser, comment les Hollandais ont rompu avec elle, et il continue : « Le moment est venu de penser moins, de viser moins haut, d’observer mieux et de peindre aussi bien, mais autrement… Il s’agit de devenir humble pour les choses humbles, petit pour les petites choses, subtil pour les choses subtiles, de les accueillir toutes sans omission ni dédain, d’entrer familièrement dans leur intimité, affectueusement dans leur manière d’être. C’est affaire de sympathie, de curiosité attentive et de patience. Désormais le génie consistera à ne rien préjuger, à ne pas savoir qu’on sait, à se laisser surprendre par son modèle, à ne demander qu’à lui comment il veut qu’on le représente. »