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Page:Brunetière - L’Évolution de la poésie lyrique en France au dix-neuvième siècle, t2, 1906.djvu/189

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M. LECONTE DE LISLE


sément de saisir, de fixer, d’immobiliser ce que j’entends quelquefois appeler le « fluent » des choses. Un poète ou un artiste ne serait pas digne de son nom qui n’y réussirait pas ! Il faudrait le mettre au rang de ces savants de laboratoire qui amassent péniblement les faits dont un autre trouvera quelque jour et nous dira la loi. Et encore, ce savant ferait-il une besogne utile ; mais quel besoin avons-nous de ces demi-artistes et de ces quarts de poète !

Autant que d’avoir reconnu le pouvoir de la forme, il faut louer M. Leconte de Lisle d’avoir dit, et prouvé par son exemple qu’aucune école, encore aujourd’hui même, ne valait pour un pareil apprentissage l’école de l’antiquité. Je ne parle pas de quelques petites pièces, comme le Souhait, où j’ose croire qu’Anacréon se fût volontiers reconnu :


Du roi Phrygien la fille rebelle
Fut en noir rocher changée autrefois :
La fière Prokné devint hirondelle
Et d’un vol léger s’enfuit dans les bois.
Pour moi, que ne suis-je, ô chère maîtresse,
Le miroir heureux de te contempler,
Le lin qui te voile et qui te caresse.
L’eau que sur ton corps le bain fait couler,
Le réseau charmant qui contient et presse
Le ferme contour de ton jeune sein,
La perle, ornement de ton col que j’aime.
Ton parfum choisi, ta sandale même.
Pour être foulé par ton pied divin…


Mais si la poésie des anciens, grecque ou latine, est en général éminemment « plastique », ou scul-