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Page:Brunetière - Questions de critique, 1897.djvu/20

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QUESTIONS DE CRITIQUE

écrivains dont l’œuvre ne fût en danger d’y fondre tout entière. Qui croirait, s’il ne le savait par ailleurs, que le Poème de la captivité de saint Malc fût de l’auteur de Joconde et des Oies du frère Philippe ; ou le Temple de Guide de l’auteur de l’Esprit des lois ?

Or, des cinq livres de Rabelais, c’est ici le plus audacieux, celui qui contient contre les gens de justice et de finance, contre Rome et contre l’Église, contre « le trône et l’autel » les plus violentes attaques, et non plus enveloppées, comme dans les précédents, d’allégories ou de symboles plus ou moins obscurs, mais à peine déguisées sous des fictions plus que transparentes, et presque à visage découvert. Imaginez donc, si vous le pouvez, que l’on mît en discussion l’authenticité du Tartufe de Molière, ou celle encore du Candide de Voltaire, et tâchez de mesurer à quel point Voltaire sans Candide, et Molière sans Tartufe, différeraient d’eux-mêmes.

Si le cinquième livre est de Rabelais, l’idée qui s’en dégage réagit aussitôt sur les quatre autres pour leur donner une signification et une portée nouvelles. Où Ton ne voyait que la bouffonnerie d’un ogre en belle humeur, son rire plus qu’homérique, l’ébattement ou l’ébrouement, parmi ses propres inventions, d’une imagination également fantasque et puissante, il faut chercher maintenant des intentions et des dessous ; il faut voir le masque d’un philosophe et d’un réformateur ; il faut trouver un sens profond à ce qu’il y a