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Page:Brunetière - Questions de critique, 1897.djvu/46

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QUESTIONS DE CRITIQUE

par leurs exemples ; quoique les exemples non plus n’aient pas manqué, qui ont donné à la prose française les qualités qu’on lui refuse le moins : l’élégance dans la précision, la perfection dans la mesure, et, chez les très grands écrivains, la lucidité dans la profondeur.

Que maintenant, dans leurs exigences, les femmes aient passé la mesure, elles ne seraient pas femmes s’il en était autrement. A vouloir épurer une langue, on risque toujours de l’appauvrir, et, en réglant le goût, il n’est pas rare que l’on émousse cette vivacité de sensation qui en est l’âme, pour ainsi dire. De même encore, si l’on admet sans peine que l’art ne doive pas tout représenter, ni l’écrivain tout dire, il est bien difficile, mais surtout bien téméraire, de vouloir marquer avec exactitude où leur droit à tous deux se termine, et où leur liberté commence. Les précieuses, qui étaient du monde, et du beau monde, en général ; et, depuis les précieuses, les femmes qui leur ont succédé, pendant plus d’un siècle et demi, dans la direction de l’esprit littéraire, ont cru trop aisément que la liberté de l’art et de l’écrivain trouvait ses bornes dans leur caprice, et que le monde, « le vaste monde » n’était ni plus étendu, ni plus divers que ce qu’il en pouvait tenir, en hommes et en femmes, dans leurs ruelles ou dans leurs salons. Il est résulté de là plusieurs conséquences, dentelles doivent supporter le reproche, et que je vais essayer d’indiquer en courant.