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Page:Brunetière - Questions de critique, 1897.djvu/47

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L’INFLUENCE DES FEMMES

Je ne leur fais point un si grand crime de leurs façons de parler souvent bizarres, mais quelquefois heureuses, et toujours amusantes. On a bien déraisonné là-dessus. Elles ont peut-être appauvri la langue de quelques vocables énergiques et de quelques tournures naïves, mais, tout compte fait, elles l’ont enrichie de presque autant de mots ou d’expressions nouvelles qu’elles lui en enlevaient d’anciennes. Et puis, ce n’est pas elles qui ont inventé ces métaphores dont s’est moqué Molière : « Je vais pêcher dans le lac de ma mémoire avec l’hameçon de ma pensée, » ou encore : « Sur la place publique de votre attention je vais faire danser Tours de mon éloquence ; » et celles-ci, en particulier, sont du plus beau temps de la renaissance italienne. Qui ne sait d’ailleurs qu’il y a pour le moins autant de concetti dans un drame de Spakspeare que d’antithèses dans une lettre de notre Balzac ? Et, comme le seicentismo des Italiens ou l’euphuisme des Anglais, le cultisme d’Antonio Ferez et de Gongora n’a-t-il pas précédé dans la littérature européenne celui du marquis de Mascarille et du vicomte de Jodelet ? Euphuisme, ou cultisme, ou de quelque nom qu’on l’appelle, c’est une maladie du langage, qui peut quelquefois s’étendre jusqu’à la pensée, qui ne s’y étend pas toujours ; que d’ailleurs, pour en bien parler, il faudrait peut-être étudier plus sérieusement qu’on ne l’a fait, plus scientifiquement ; et dont les effets ressemblent souvent d’assez près à ceux de l’épanouisse-