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mus, Et beata, Angelo Dei ». Quand ils sont formés à épeler, dit l’École paroissiale, qui règle minutieusement tous ces détails, il leur faut « donner un Livre, qui soit composé du Magnificat : Nunc dimitti : Salve Regina, Verset, et Oraison, des sept Psaumes, et des Litanies des Saints, du S. Nom de Jesus et de celle de la Sainte Vierge : D’une Liste des Nombres des chiffres communs… des Versets et des Réponses de la Messe » (171-172). C’est seulement quand l’enfant sera bien en possession de la lecture latine qu’il abordera la lecture en français[1]. Les classes des tout petits sont divisées à cet effet en cours bien distincts, assis à des tables spéciales[2].

Les pédagogues se rendent parfaitement compte des difficultés que l’enfant va rencontrer. Il va lui falloir prononcer deux, regne, nostre, qui, comme , reñ, notr, ki, après avoir d’abord appris à dire de-u-s, re-gn-um, no-st-rum, qui. Ent de cantent, où tout s’entend, l’empêche de lire ils chantent avec sa dernière syllabe sourde, etc… Aucune recette pour y remédier. Il est seulement recommandé aux maîtres d’« aller progressivement » (Éc. par., 182-186)[3].

J’ai marqué (tome IV, 179) l’influence détestable que cette pratique eut sur la prononciation française. Nous entrevoyons, à travers les textes, que c’est une des raisons pour lesquelles on savait mal lire. Souvent l’écolier n’allait pas jusqu’au bout. En 1673, un Reglement pour les écoles dominicales autorisa, après les exercices religieux et l’instruction religieuse « a apprendre a lire a celles qui auront volonté de se faire instruire, ou a perfectionner dans l’usage de la

  1. « Il faut premierement, que les enfans avant que d’être mis à la lecture Françoise, sçachent bien lire en Latin en toutes sortes de livres : car cette lecture étant le fondement de la Françoise, puis qu’elle contient les mêmes caracteres et syllabes, si on monstre à un enfant à lire en Latin et en François tout ensemble, il donnera grande peine au Maistre » (Ib., 181).
  2. Le long de la muraille, il y aura trois bancs de chaque côté, où seront assis ceux qui liront en Latin et en François ; mettans ceux de mediocre condition ensemble, et les pauvres ensemble… Le premier de chaque côté sera haut de quinze pouces, et on y mettra ceux qui lisent en François. Le second d’un pied, et on y mettra ceux qui lisent bien au Latin et commencent à lire en François. Au troisiéme, haut de neuf pouces… ceux qui sont à A, B, C, ceux qui épellent et commencent à assembler les syllabes (Ib., 57).
  3. C’est par cette difficulté que s’explique une observation de Démia rapportée par M. Compayré (Démia, 44). On fait observer à Lyon aux enfants que le t ne se prononce pas dans esprit éternel. Cela paraît au premier abord bien subtil, et porte à croire que les enfants étaient bien instruits, si on en arrivait avec eux à de pareilles délicatesses. Mais il en faut en rabattre. L’École paroissiale note aussi qu’il faut faire la liaison : il disoit à Pierre, mais c’est pour montrer à l’enfant, gêné par sa connaissance du latin que si le t s’articulait ici exceptionnellement, il ne s’articulait pas en général. Dans il fuit, l’enfant disait d’instinct fuiT comme en latin. Il était nécessaire de réagir, et par suite de marquer aussi les cas où les finales françaises s’entendaient (Voir Éc. par., 184).