Page:Brunot - Histoire de la langue française, des origines à 1900 — Tome 5.pdf/47

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lecture celles qui auroiẽt quelques cõmencemẽs » car « c’est un grand mal que l’on envoye rarement les filles a l’école, et que celles que les parens y envoyent, n’y restent pas un temps suffisant pour apprendre parfaictement a lire[1]. »

On pense bien que si ces funestes principes étaient reçus dans les petites écoles, où le latin ne jouait malgré tout qu’un rôle accessoire, les collèges n’en connaissaient sed d’autres. D’Aubigné, qui fut mis dans les mains d’un savant, apprit plusieurs alphabets à la fois, et s’exerça à lire en latin, grec et hébreu. Jamais l’homme « astorge et impiteux » qui lui enseignait, Jean Cottin, n’eût eu l’idée d’y joindre la lettre française. Les régents jetaient les enfants dans Despautère.

Un précurseur. Behourt. — Cependant une révolution se préparait. Dès la fin du xvie siècle, quelques précurseurs avaient demandé l’abandon de la méthode traditionnelle[2]. Une place de choix parmi eux doit être réservée à Behourt[3]. Il ignorait certainement les idées de son illustre contemporain Comenius, dont la Didactica magna ne parut qu’en 1627. C’est de Comenius qu’est l’adage : Apprendre le latin avant la langue maternelle, c’est vouloir monter à cheval avant que de savoir marcher. Dès 1620, Behourt mélangeait lecture française et lecture latine dans son livre : Alphabets françoys, latin, et Grec (Rouen, Louys Loudet, Bib. Nat., Inv. X, 11800). Et dans le livret, où il y a une petite grammaire à l’usage des enfants, il justifie son innovation en quelques mots très heureux : « J’ay traicté le tout en Françoys, afin que la perception en fust plus prompte, baillant la maniere de sçauoir deuant la science, estant chose absurde de les rechercher ensemble » (Let. au Pr. de Lorraine, duc de Joyeuse, Abbé de Fescamp).

La lecture en français à l’Oratoire et à Port-Royal. — La réforme ne se fit pas par le bas. Elle ne vint pas des maîtres des petites écoles. Démia, pas plus que l’auteur de l’École paroissiale, ne vit l’intérêt qu’elle avait ; peut-être même y fut-il opposé.

  1. Bib. Maz., 42632, pièce 3, p. 9.
  2. Je n’ai pas vu un livre cité par M. le Comte de Fontaine de Resbecq, dans son Hist. de l’ens. prim. avant 1789, Lille, 1878 : Methode de lecture en françois. Moyen de promptement et facilement apprendre en lettre françoise a bien lire, prononcer et écrire. Ensemble la manière de prier Dieu en toutes nécessitez (Paris, Imp. J. Charron, rue des Carmes, 18, Bib. de Douai).
  3. Behourt est mort en 1621. Il a fait une édition abrégée du Despautère (le Petit Behourt) ; l’Alphabet (1620) ; des tragédies de collège ; le Trésor d’éloquence avec explication des mots difficiles (1619). (Voir Robil. de Beaurepaire, Rech. sur l’inst. publ. dans le diocèse de Rouen. Évreux, 1872, I, ch. iii.)