Page:Brunot - Histoire de la langue française, des origines à 1900 — Tome 5.pdf/60

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

générale de l’Oratoire s’occupa de la question. Elle « prohiba sur les théâtres de ses collèges la représentation de tragédies écrites en vers français... » Mais « les jeunes Oratoriens protestèrent, et le R. P. Général, de concert avec les R. P. Assistants, pour trancher le différend fut obligé à des concessions. Le prologue et les arguments des différents actes pourraient être écrits en vers français, à la condition toutefois que le principal du collège les communiquerait au R. P. Général, avant d’en permettre la dictée dans les classes 1. » Or, la poussée était telle que ce règlement même ne put pas être observé dix ans. En 1709, on jouait sur le théâtre de Troyes une pièce toute française : « Le Pédant. » En 1710, les rhétoriciens et les humanistes simulèrent en français un procès dont le succès fut grand 2.

Le 17 décembre 1706, la Faculté des Arts fit à son tour une concession énorme. Elle délibéra que tout en s’appliquant à faire parler latin dans les exercices publics, il fallait laisser les élèves libres de répondre, soit en français, soit en latin 3. Dans les collèges des Universités, les représentations jouaient un rôle beaucoup moindre que dans les maisons concurrentes. Il fallait en donner pourtant. En 1718, Grenan, ne se sentant pas de taille à lutter avec Corneille et Racine, fit jouer au collège Athalie. Comme quelques collègues désapprouvaient cette nouveauté, il composa en latin un prologue où la question était disputée par Philorome, l’ami de la routine, et Eulale, l’homme au beau langage, passionné de français. Le principal argument que donne celui-ci, c’est que quand on joue en latin, les « auditeurs », si l’on peut s’exprimer ainsi, usent peu de leurs oreilles et abusent de leur langue. Pendant que les malheureux acteurs s’essoufflent, on cause, on rit, ou… on boit 4.

LE FRANÇAIS PÉNÈTRE LES CLASSES ENFANTINES. — Le P. de Condren, second général de l’Oratoire (+ 1641), avait fait adopter un plan d’études absolument nouveau 5. Un enseignement pratique et élé-


Carré, o. c., 249 ; cf. Lallemant, o. c., 334.

Id., ib., 249-50.

3. Dandam operam in primis ut pueri latine in scholis, quantum fieri potuit, et scribant et loquantur, in publicis tamen exercitationibus liberam relinqui facultatem seu latine seu gallice respondendi (Arch. M., Reg., XXXIX, f° 149, dans Jourd., Hist. Univ., Piec. just., 153).

4. Vissac, o. c., 260-1.

5. Voir Hamel, Hist. de l’abbaye et du collège de Juilly (Paris, 1888). Cf. Lallemant, L’éducation à l’Oratoire, et Carré, La lutte du latin et du français au Collège de l’Oratoire de Troyes, dans les Mémoires de la Société académique d’agriculture, des sciences, arts et belles-lettres du département de l’Aube, 1882, 3e série, t. XIX, p. 238-239.