Page:Brunot - Histoire de la langue française, des origines à 1900 — Tome 5.pdf/67

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mortes, ne leur laissassent pas ignorer une Langue vivante, dont ils doivent se servir toute leur vie. Il arrive cependant que les jeunes gens sortent des Colléges aussi ignorans là-dessus que s’ils avoient été élevez chez des Etrangers » (Refl. s. l’usage pres. de la Lang. fr., 1689, Pref., a iij). Les mêmes plaintes, les mêmes conseils se retrouvent chez Hindret, qui traite de prononciation ; « On leur aprend (aux enfants) avec beaucoup de soin le Latin et le Grec, et pour ce qui regarde leur Langue naturelle, on l’abandonne au hazard de l’usage » (Art de bien prononcer, Disc., eiij).

Le Gras, professeur de rhétorique, exprime le même étonnement douloureux de l’abandon où on laisse le français : « Il y a lieu de s’estonner que plusieurs de ceux de nostre Nation, qui apprennent avec beaucoup de soin les belles lettres, et qui tiendraient à quelque deshonneur de ne sçauoir pas la Langue Latine, soient si éloignez de sçavoir les moindres regles de la Langue Françoise » (Reth. fr., 175).

On voit même apparaître des opinions plus hardies. L’auteur anonyme du manuel intitulé Les Veritables principes taxe nettement d’erreur l’opinion de ceux qui prétendent qu’on ne peut écrire correctement en français, si l’on n’a passé par les leçons du Collège (Pref., 4e p.). Comment n’eût-on pas tiré cette conclusion des déclarations des Vaugelas, des Bary, de tous les maîtres de l’école française, qui tenaient que le grec et le latin des pédants ne faisaient que brouiller leur langage ? L’étude de la langue française devait apparaître non seulement comme nécessaire, mais comme suffisante.

QUELQUES TIMIDES ESSAIS. — On est étonné, dans ces conditions, de voir combien les essais furent rares et timides. Je ne parle pas des écoles protestantes, où des raisons particulières obligeaient à faire une place à la langue dans laquelle les fidèles devaient lire. A Nîmes, les directeurs poussaient, dit-on, le scrupule jusqu’à donner aux enfants un maître du Nord pour corriger les fautes de la prononciation méridionale (Bourchenin, o. c., 194). A Sedan, où venaient beaucoup d’étrangers, on expliquait les textes en français pour que, suivant l’idée de Port-Royal, les enfants, en cherchant l’abondance en latin, ne perdissent pas la propriété des termes


Son livre est « une métode pour la premiere instruction des Enfans » (iiij). Lui aussi pense que « puis qu’il faut indispensablement qu’ils scachent la Grammaire pour apprendre les Langues et les autres Sciences… il est plus utile et plus aisé de la leur enseigner en leur langue naturelle qu’en une Langue étrangère qu’ils n’entendent pas encore (avant-dern. p. du Discours).