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Les enquêtes postérieures ne laissent point de doute. Dans un trop grand nombre d’endroits, affirmons-le sans crainte d’être démentis, l’instruction des masses était nulle. À Genolhac, district d’Alais (Gard), « dans une partie des communautés, il n’y a point d’Établissements publics, on n’y enseigne pas même à lire » (Enq. de 1791. A. N., F17A, 1313). À Vic, Hautes-Pyrénées, même réponse (Ib., 1316). De plusieurs districts le tableau où doivent être inscrits les établissements d’instruction arrive au Comité vierge ou à peu près.

Au reste, d’innombrables études sur l’instruction primaire avant 1789 permettent aujourd’hui de se faire une idée à peu près exacte des institutions scolaires. Il y a lieu de se défier autant des apologies que des dénigrements systématiques[1]. Pour un peu, certains nous démontreraient que l’instruction publique a baissé depuis un siècle[2]. Le difficile en ces matières, c’est qu’il faut se méfier même des statistiques. Toutes ne prouvent pas. On a compté les époux sachant signer, c’est bien. Encore faudrait-il voir quelle est leur écriture. Puis, à tout prendre, on peut signer son nom, sans savoir vraiment écrire[3]. Si l’on a simplement dénombré les témoins des actes, s’est-on toujours assuré qu’ils n’avaient pas été choisis justement en raison de leur instruction ?

Ceci dit, il me suffira de donner quelques aperçus des résultats auxquels leurs études ont conduit les chercheurs. Prenons d’abord une région très « avancée ». Il a été dressé récemment des statistiques précises pour la Bourgogne, par Champeaux. Il en résulte que dans 10 archiprêtrés de Bourgogne (Arnay-le-Duc, Avallon, Beaune, Couches, Duesme, Flavigny, Nuits, Pouilly, Semur et Touillon),

  1. Le rapport de Sauvestre sur l’enseignement primaire en France avant 1789 (Mus. Pédagog., Ms. 35, anc. 362), demeure un très consciencieux résumé d’une enquête faite dans toute la France, par les soins des inspecteurs primaires et dos instituteurs. Sur le nombre des écoles il est un guide indispensable. Toutefois les études postérieures ont apporté beaucoup de renseignements nouveaux. L’enquête de 1790-1792 en fournirait encore (A. N., F17, 1311-1367).
  2. « Pour tout homme de bonne foi il est incontestable qu’en somme, depuis un siècle, le niveau de l’instruction publique a baissé en proportion de l’accroissement de la population… les enfants fréquentaient l’école plus longtemps que do nos jours, leur intelligence en était plus développée, et leur application mieux soutenue » (Abbé Portagnier, Ét. hist. sur le Rethélois, Au Châtelet-sur-Retourne, 1874, p. 274).
  3. Dans la rédaction des Cahiers on voit clairement que l’instruction est fort peu répandue. « Le cahier d’une paroisse qui compte 1500 ou 1600 communiants, c’est-à-dire qui compterait aujourd’hui près de 500 électeurs, n’est en général revêtu que d’une douzaine de signatures lisibles, les autres signatures, peu nombreuses du reste, sont grossièrement tracées et il est évident que les paysans qui les ont apposées ne savent que signer. Pourtant tous les paroissiens aisés… tous ceux qui ont pu recevoir quelque instruction sont présents à l’assemblée, comme l’indiquent les procès verbaux.

    Quelques cahiers portent même la mention que tous ceux qui savent ont signé.

    Le cahier de St-Jean de Béré-lès-Chateaubriant (art. 16) nous dit que « la plus grande partie des paysans ne sait ni lire ni écrire » (E. Dupont, La cond. des pays. de la Sénéchaussée de Rennes, d’après les cahiers des paroisses ; Ann. de Bret., XV, 1899-1900, p. 51).