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l’ortographe sont méprisés, et manquent souvent des bons Emplois, et des établissemens considérables », dit un de ceux qui l’enseignent. Douchet fait chorus : « Combien de gens, avec la meilleure main, manquent ou perdent des emplois, faute d’avoir cette connoissance » ! (Princ. rais. d’orth., VIII)[1].

Aussi les Frères de la Doctrine Chrétienne ont-ils mis dès le début l’orthographe au nombre des matières enseignées dans leurs maisons (Conduite des Ecoles, chap. 4). On y exerçait les enfants à copier d’abord, à reproduire ensuite, des quittances, des actes commerciaux, des devis, etc.[2] C’est pour cette raison également qu’on voit l’orthographe entrer dans les Manuels des connaissances nécessaires, ainsi dans l’Ouvrage choisi en faveur du public, sorte d’almanach, contenant un peu de tout, les règles de la bienséance et un traité d’Orthographe (Paris, Hérissant, 1777). Les impressions vulgaires de Troyes s’en emparent. On y trouve un Traité de la Nouvelle orthographe françoise… Très utile à toutes sortes de personnes, et particulièrement aux jeunes Gens ; par lequel on pourra aprendre cette science en peu de tems et sans Maître, Avec La Manière de dresser et écrire correctement des Lettres de Marchands et de Change, des Billets à Ordres, des Promesses et des Quittance (sic.) (Troyes, Garnier, A. P., s. d., in-12).

Les railleurs ne manquaient pas : « On disoit ces jours-ci à M. de Chimène : Allons, Chimene, nous n’avons point de temps à perdre ; apprenons l’orthographe, nous aurons une place à l’Académie ».

L’orthographe et les femmes. — Pour les femmes, qui n’occupaient point d’emploi de scribes ou de commis, l’orthographe tendait à prendre une autre valeur, une valeur sociale : elle devenait une marque de distinction. Les hommes apprenaient ou étaient censés apprendre le latin ; par suite ils étaient réputés acquérir le français par transfusion. Les femmes, qui ne se livraient qu’exceptionnellement à de semblables études, devaient compenser leur infé-

  1. 1. André-Joseph Auverni, dont nous avons déjà signalé le Manuel, déclare d’abord qu’il a vu « quantité de jeunes hommes aspirer aux Bureaux de la Finance et du Commerce, pecher contre les regles de la langue… parce qu’ils ignoraient l’orthographe » (Pref., p. 7).
    Il reproche aux parents de ne donner aux enfants après l’A. B. C. que le Sillabaire françois et de prétendus Livres d’orthographe. « Les Maîtres et Maîtresses d’Ecole de la Campagne qui ne sont pas à la portée des Bibliotéques pour faire un recueil sur le choix des grammaires se suffiront avec son livre » (16).
    L’auteur ajoute que ce livre ce conviendra encore aux Demoiselles qui voudront savoir ortographier pour parler Français correctement ».
  2. Paris, Moronval, 1838. Cf. Lucard, Vie du Vble J. B. de la Salle, 348.
    Champollion-Figeac dans ses Nouvelles recherches sur les patois a fait allusion à « ces enfans qui avaient appris à lire et à écrire au village » et qui ayant « pendant un an ou