Mais il n’en est plus de même si la nature se révèle dans la science par un effort solidaire d’une raison et d’une expérience, toutes deux inséparables et toutes deux inépuisables. Alors industrie et science se continuent l’une l’autre, sans qu’il y ait à poser quelque part, à concevoir même, une ligne de démarcation entre le naturel et l’artificiel. L’élément simple obtenu par la décomposition de l’eau n’est pas moins artificiel, pas moins naturellement inexistant, que le produit complexe, inventé dans un laboratoire de parfums ou dans une usine de matières colorantes ; et celui-ci n’est pas, en un autre sens, moins naturel que celui-là.
En conciliant la rigueur du déterminisme scientifique et le succès de la pratique industrielle, l’humanisme réussit là où le naturalisme ne pouvait pas ne pas échouer ; car pour l’humanisme il n’y a pas deux mondes et il n’y a pas deux destinées, le monde de la spéculation et le monde de l’action, la destinée de l’homme et la destinée de la nature. Pour le petit enfant, connaître, c’est manier, c’est effectuer des mouvements qui modifient le cours spontané de l’univers ; et ces mouvements eux-mêmes rentrent pourtant dans l’ensemble du système universel. Il n’en est pas autrement pour la science, dont on peut dire tout à la fois qu’elle a marqué d’un caractère plus humain notre connaissance des choses, d’un caractère plus objectif les procédés de notre connaissance. Le progrès du savoir entraîne un progrès de la nature, en tant que l’espèce humaine en a mis à profit, pour ses besoins et pour ses désirs, les diverses manifestations. Les puissances de l’univers, qui dormaient inutilisées, la souveraineté créatrice de l’esprit les a forcées à se révéler et les a domestiquées, en même temps que l’esprit prenait conscience de soi, dans la spécificité de son action qui est l’action rationnelle.
274. — Enfin à l’humanisme, tel que le relativisme critique permet de le définir et de le préciser, il appartient de dissiper un dernier préjugé, ou plus exactement de dénoncer un dernier anachronisme. Il est vrai que les initiateurs de la science moderne ont conçu qu’elle devait servir à établir un ordre humain qui, par l’accumulation incessante des découvertes, serait appelé à surpasser les ressources de la nature vivante, prodigieusement complexes et surprenantes, mais tout de même limitées par la monotonie de leur rythme, par leurs périodes de croissance et de dissolution, à surpasser même les manifestations mystérieuses que l’on rattache aux pratiques occultes : « Il y a une partie dans les