Mathématiques, écrivait Descartes, que je nomme la science des miracles, pour ce qu’elle enseigne à se servir si à propos de l’air et de la lumière, qu’on peut faire voir par son moyen toutes les mêmes illusions, qu’on dit que les Magiciens font paraître par l’aide des Démons[1]. »
Cette conception d’un ordre humain qui serait comme surnaturel, le xviiie siècle l’a traduite dans une doctrine du progrès, tout abstrait et tout mécanique, qui a provoqué, d’une façon légitime, la réaction vitaliste et romantique. Mais il importe de comprendre que cette réaction est elle-même relative à l’interprétation que les philosophes de l’Encyclopédie tendaient à donner du savoir scientifique et dont on retrouve encore l’écho dans le positivisme de Comte : la science consisterait dans un enregistrement de résultats purement objectifs qui s’imposeraient par eux-mêmes, éliminant toute spéculation sur la constitution intrinsèque du savoir, toute réflexion sur la fonction de connaissance. Or, l’effort de notre livre a été de recueillir sur ce point capital l’enseignement que comporte l’évolution de la physique depuis un siècle. L’intelligence du savoir nous a paru liée à la formation d’une conscience intellectuelle. Et ainsi l’idée de progrès perd l’apparence qu’elle avait revêtue d’une addition passive et matérielle ; la vie scientifique est l’une des bases de la vie proprement humaine, c’est-à-dire de la vie spirituelle en tant qu’elle s’élève au-dessus de l’inconscience instinctive où l’ordre biologique est naturellement enfermé. La conscience intellectuelle devient capable d’appuyer et d’éclairer le progrès d’une conscience morale et d’une conscience religieuse, se libérant des préjugés égoïstes et des traditions littérales. Par là peut-être, ce que le philosophe retire de l’application à la science de la nature, le conduira vers une lumière qui vaudra encore mieux que la science. « Souvent, disaient les Stoïciens, un homme qui a été recommandé à un autre, en arrive à faire plus de cas de celui-ci que de l’auteur même de la recommandation ; de même il n’y a pas lieu de s’étonner si, recommandés d’abord à la sagesse par une impulsion initiale de la nature, nous finissons par chérir cette sagesse plus que la nature même qui nous avait portés vers la sagesse. » (Cicéron, De Finibus, III, 7.)
- ↑ Lettre de Septembre 1629, Édition Adam-Tannery, t. I, p. 21.