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vallons qui séparent les sommets ont été creusés par l’eau tombant de ces derniers. Beaucoup ont ensuite été comblés en partie, puis creusés de nouveau.

D’énormes quantités de roches et de terres sont ainsi, chaque jour, enlevées aux flancs des montagnes et charriées dans les rivières qui roulent à leurs pieds. Des coupées gigantesques ont été pratiquées par certains fleuves à travers les collines ou les montagnes qui se trouvent sur le trajet de leur cours et qui, jadis, les arrêtaient dans leur marche vers la mer. C’est le Danube qui a creusé les célèbres Portes de Fer ; c’est, sans nul doute, le Rhin qui a creusé la vaste plaine où il trace ses sinuosités entre le rempart des Vosges et celui de la forêt Noire. Le Niagara creuse encore chaque jour la portion de son lit située entre sa chute célèbre et le lac Érié ; un jour même, peut-être, le point de sa chute sera, par rétrogradation, porté au niveau du point par lequel il sort du lac Érié, et la masse immense d’eau que contient ce dernier pourra s’épancher librement dans les plaines, les inonder et les transformer en un lac immense. Mais, quoique les chutes ne soient qu’à 26 kilomètres du lac Érié, il est permis de croire qu’il faudra au fleuve un très grand nombre de siècles pour rétrograder jusqu’au lac. On calcule, en effet, que l’usure et le déplacement en arrière des roches au niveau desquelles se produit la chute n’est que de 30 centimètres par an. Si l’on suppose, avec la majorité des géologues, que les chutes du Niagara se trouvaient, jadis, à la hauteur de Queenstown, c’est-à-dire à 11 kilomètres plus bas qu’aujourd’hui, il leur aurait fallu trente-cinq mille ans pour rétrograder jusqu’au point où elles se trouvent de nos jours ; et il leur faudrait plus de quatre-vingt-trois mille ans pour rétrograder jusqu’au lac Erié, en admettant que la nature du terrain ne déterminât pas un abaissement de la hauteur des chutes qui diminuerait beaucoup l’action destructive de l’eau.

Action destructive des inondations. Il me paraît inutile de parler des ravages parfois si considérables faits par les inondations. L’eau, acquérant alors une puissance infiniment supérieure à celle qu’elle a normalement, peut renverser des masses énormes de roches, creuser de nouveaux lits de torrents et de rivières et bouleverser de grandes étendues de terrain. Les inondations les plus redoutables sont celles qui succèdent à une obstruction momentanée du cours d’un torrent ou d’une rivière, ainsi que cela arrive fréquemment dans les pays de montagnes. Les glaces accumulent alors habituellement des rochers en travers du cours d’une rivière ou d’un torrent, et y forment une barrière derrière laquelle s’entassent des neiges et de l’eau glacée. Quand arrive le dégel, la barrière fond et la masse d’eau accumulée derrière elle se précipite sur les flancs de la montagne avec une rapidité vertigineuse et une force proportionnée à son volume. Les phénomènes de cet ordre jouent un grand rôle dans le creusement du lit des rivières et des fleuves. C’est à une succession d’inondations plus ou moins violentes qu’il faut, d’après certains géologues, attribuer la