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le commerce, au lieu qu’à Angers, comme à Dijon tout y est maigre, épargné. L’on y fait plus qu’on ne peut ; orgueil et gueuserie y marchent ensemble, filles légitimes du mépris ridicule que l’on y a pour le négoce. »

Dans une autre lettre, il trousse en termes vifs un portrait charmant des petits maîtres de la capitale de l’Aquitaine. Après avoir raconté que les habitants se sont mis en frais pour indemniser de pauvres diables de comédiens dont le théâtre a brûlé, il ajoute : « C’est là l’action la plus sage que j’ai vu faire en ce pays, où la moitié des gens sont grossiers, et l’autre petits-maîtres, mais petits-maîtres de cent cinquante lieues de Paris, c’est-à-dire bien manqués. Vous ririez de les voir, avec des talons rouges et sans épée, marcher dans les rues, où la boue couvre toujours les pavés de deux pouces, sur la pointe de leurs pieds, et de là, à l’aide d’un décrotteur, passer sur un théâtre où jamais ils ne sont que comtes ou marquis, quand ils ne posséderaient qu’un champ ou une métairie, et qu’ils ne seraient que chevaliers d’industrie. Comme il y en a un grand nombre qui s’empressent auprès des étrangers, nous n’avons pas manqué d’en être assaillis ; mais heureusement ils n’ont pas assez d’esprit pour faire des dupes. Le jeu est ici la seule occupation, le seul plaisir de tous ces gens ; on le joue gros et, en ce temps de carnaval, sous le masque. Le jeu ordinaire est les trois dés ; mais ce qu’il y a de plus singulier, c’est que chaque masque apporte ses dés et son cornet. Il faut être bien bête pour donner dans un pareil panneau. »

Montauban, où il a séjourné un mois, est assez bien traité. « La ville est petite, mais charmante par sa situation, sa bâtisse et l’air pur qu’on y respire. Les habitants y sont tout à fait polis, grands joueurs de piquet et d’hombre, presque ennemis du quadrille, amateurs des promenades, où ils passent une partie de la journée à parler gascon et à admirer les environs de leur ville, qui réellement sont tout à fait agréables. Ils peuvent se flatter de manger les meilleures volailles de France et de faire très bonne chère à très bon marché. »

Toulouse lui paraît « une grande et belle ville ; son étendue est immense. On la croit plus vaste que Lyon ; ce qu’il y a de vrai, c’est qu’elle est au moins six fois aussi grande que Dijon. Le sexe y est tout à fait beau, et, excepté les vieilles, je ne me souviens pas d’y avoir vu une laide femme. Les maisons y sont superbement bâties, quoique un peu à l’antique ; les rues bien percées, le nombre des carrosses immense. »

À Narbonne, rien ne le choque « que les rues sombres et si étroites qu’à peine trois personnes de front y peuvent passer à leur aise. » Un trait de mœurs le frappe : « Je remarquai avec surprise dans tous les cabarets de grands éventails mobiles sur des poulies, qui servent à rafraîchir les hôtes, qui sont obligés d’y dîner en chemise, et qui, malgré ces précautions, ne laissent pas que d’y suer à grosses gouttes. »

Rome est, après les villes dont je viens de parler, la seule dont sa correspon-