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dance fasse mention. « Rome est à cette heure dans son brillant ; le carnaval est commencé depuis quinze jours ; quatre opéras magnifiques et autant de comédies, sans compter plusieurs petits théâtres, y font les plaisirs ordinaires, et je vous avoue qu’ils sont extraordinaires pour moi, pour l’excellence de la musique et le ridicule des danses, par la magnificence des décorations et la métamorphose des eunuques qui y jouent tous les rôles des femmes ; car l’on n’en voit pas une sur tous ces théâtres, et cette différence est si peu sensible pour le peuple romain qu’il a coutume de parler de la beauté de ces hongres de la même façon que nous raisonnerions de celle d’une jolie actrice : tant ils ont conservé le goût de leurs ancêtres, dont ils ont si fort dégénéré pour toute autre chose. »

Il se montre volontiers dédaigneux à l’égard des femmes. Il écrit, en 1729, au président Ruffey : « Il fallait que ce fût une déesse, même au-dessus de Vénus, puisqu’il semble dans votre ouvrage que vous en fassiez une divinité différente de cette reine des Grâces ; mais peut-être avez-vous fait comme Phidias : vous aurez, dans vos plaisirs vagabonds, pris une pièce de l’une, une grâce de l’autre, un trait d’une troisième, et du tout ensemble vous aurez formé votre ode ; car elle est belle partout, et en cela différente de presque toutes les beautés d’à présent. Ce qui me ferait soupçonner que j’aurais deviné juste, c’est qu’à Paris un homme de votre humeur se pique rarement de constance et peut, dans la diversité des objets, trouver plus de plaisir que dans un attachement unique. »

Dans une lettre déjà citée plus haut, il écrit à son ami : « L’on m’a dit que Malteste avait pour maîtresse une des plus jolies dames qu’il y ait à Dijon. Ne pensez-vous pas avec moi que les Danaé sont maintenant bien communes, et Cupidon si aveugle qu’il ne peut plus rien distinguer que le brillant de l’or. »

Tout cela est d’un sceptique élégant, dont les passions n’entraveront jamais la marche ambitieuse.

Il conserva pendant toute sa vie cette verve railleuse, souvent triviale, mais il n’en faisait que rarement usage dans sa correspondance.

Il excelle cependant à tracer, en quelques coups de crayon, des esquisses satiriques plaisantes ou cruelles. Le 29 janvier 1733, il écrit de Dijon : « Voici les nouvelles du pays : il y a quelques jours que de jeunes éveillés jouèrent au bal à la cloche fondue et donnèrent le fouet à M. de la Mare le fils ; la mère, qui était présente, se démasqua et voulut faire du bruit ; on lui répondit en se moquant qu’elle avait tort, et que tout cela n’était qu’une foutaise. Au concert de dimanche, le conseiller Malteste rencontra Mme Jolivet sur l’escalier, et lui mit à ce qu’on dit, quoi ? direz-vous, la main dans la gorge jusqu’au nombril. Elle se retourna et justement courroucée, elle donna un soufflet sanglant. Celui-ci répondit par des injures atroces ; l’on ne sait encore comment tout cela tournera. Mme Jolivet a remercié au concert, parce