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tence de certains amimaux terrestres et marins, dont nous ne connaissons pas les analogues vivants, nous montrent en même temps que ces animaux étaient beaucoup plus grands qu’aucune espèce du même genre actuellement subsistante : ces grosses dents molaires à pointes mousses, du poids de onze ou douze livres ; ces cornes d’Ammon, de sept à huit pieds de diamètre sur un pied d’épaisseur, dont on trouve les moules pétrifiés, sont certainement des coquillages. La nature était alors dans sa première force, et travaillait la matière organique et vivante avec une puissance plus active dans une température plus chaude : cette matière organique était plus divisée, moins combinée avec d’autres matières, et pouvait se réunir et se combiner avec elle-même en plus grandes masses, pour se développer en plus grandes dimensions : cette cause est suffisante pour rendre raison de toutes les productions gigantesques qui paraissent avoir été fréquentes dans ces premiers âges du monde. »

Il semble bien résulter de ces citations que Buffon attribuait des âges différents aux diverses espèces d’animaux, puisqu’il dit que les plus anciens étaient plus grands ; mais il n’avait vu ni l’importance véritable du fait lui-même, ni le profit qu’on en peut tirer pour établir les époques successives de l’évolution de la terre. Le passage suivant montre combien étaient vagues et fausses ses idées sur ce grave sujet. « En fécondant les mers, dit-il[1], la nature répandait aussi les principes de vie sur toutes les terres que l’eau n’avait pu surmonter ou qu’elle avait promptement abandonnées ; et ces terres, comme les mers, ne pouvaient être peuplées que d’animaux et de végétaux capables de supporter une chaleur plus grande que celle qui convient aujourd’hui à la nature vivante. Nous avons des monuments tirés du sein de la terre, et particulièrement du fond des minières de charbon et d’ardoise, qui nous démontrent que quelques-uns des poissons et des végétaux que ces matières contiennent ne sont pas des espèces actuellement existantes. On peut donc croire que la population de la mer en animaux n’est pas plus ancienne que celle de la terre en végétaux : les monuments et les témoins sont plus nombreux, plus évidents pour la mer ; mais ceux qui déposent pour la terre sont aussi certains, et semblent nous démontrer que ces espèces anciennes dans les animaux marins et dans les végétaux terrestres sont anéanties, ou plutôt ont cessé de se multiplier dès que la terre et la mer ont perdu la grande chaleur nécessaire à l’effet de leur propagation. »

Buffon pensait, on le voit, que les animaux et les végétaux terrestres dataient à peu près, sinon tout à fait, de la même époque que les animaux aquatiques, ce qui est une grave erreur.

C’est un spectacle singulier que celui de cet esprit éminemment généralisateur et synthétique, résolu à ne reculer devant aucune hardiesse et qui

  1. Époques de la nature, t. II, p. 63.